Ce n ’est donc que mon talent d’'ecrire que vous voyez dans mes lettres, Madame. L’'eloge que vous en avez fait hier n’'etait qu’une satire contre mon coeur: aussi vous avez pu remarquer mon embarras et mes sottes r'eponses `a vos aimables compliments: j’'etais p'etrifi'e, an'eanti. Ah, Madame! si par piti'e seulement vous m’eussiez dit: tu as un coeur, tu sais aimer, je le vois; ces expressions ne peuvent partir que d’un coeur aimant, elles ne sont point enve-lopp'ees dans une froide recherche des mots et dans le fade jargon d’un amant trouv'e dans mille romans. C’aurait 'et'e plus flatteur pour moi que toutes les lo-uanges pompeuses des toutes les acad'emies du monde. Mais ici je vois que Madame a voulu seulement plaisanter sur mon amour et tourner en ridicule mon pauvre coeur: quelle r'ecompense!.. Vous avez beau faire. Madame! je vous aimerai toujours: ni vos rigueurs, ni vos plaisanteries n’'etoufferont jamais une passion qui va chaque jour croissant, qui fait mes peines, qui f’ait mes d'elices, et qui enfin n’expirera qu’avec le dernier souffle de ma vie.
Qu ’il est p'enible, le moment fatal o`u l’on voit tomber le bandeau rose qui couvrait nos yeux, laissant apercevoir, dans le lointain, un demi-bonheur et des demi-jouissances! Qu’il est p'enible, dis-je, cet 'etat o`u le coeur se voit d'etromp'e! Voici pr'ecis'ement l’'etat o`u je me trouve, Madame! Les esp'erances se sont toutes envol'ees: un vide affreux que rien ne remplit, r`egne `a pr'esent dans mon coeur… Autrefois il s’ouvrait `a la douce amiti'e, depuis quelque temps il a os'e palpiter pour l’amour…
Eh bien, Madame! l ’amour l’ayant tromp'e et le d'esir m^eme de l’amiti'e. Vous, Madame, vous ne le croyez pas, j’ai vu par tout ce que vous m’avez dit que vous n’en croyez rien; ou du moins, si vous condescendez `a le croire, ce sentiment ne fait qu’effleurer votre coeur sans y laisser aucune trace, tandis qu’il se grave dans le mien `a de traits de feu, `a de traits ineffacables.
Hier j ’ai os'e encore me disputer avec vous, et vous, ange de bont'e, vous excusez cet exc`es de folie? Je vous prie, Madame, de me faire la gr^ace d’impo-ser `a l’avenir silence `a cette langue hardie qui devient alors comme antipode de mon coeur. Quelques fortes que puissent ^etre mes raisons, il suffit que vous me disiez: