Oui, Madame! Vous le voulez; vous voulez mortifier, atterrer un c oeur qui vous aime tant! Hier encore j’en ai eu une preuve indubitable: vous avez fait appeler un de ces Messieurs, vous lui avez parl'e, vous avez eu l’air de vous int'eresser beaucoup `a sa conversation… il sort, je m’approche de vous, j’ose vous adresser la parole et vous pr'etendez que vous voulez vous exercer. Il est beau, le compliment que vous m’avez dit: «que vous ne voulez pas avoir deux plaisirs `a la fois: me voir et lire mes lettres». Je l’ai traduit mot par mot en lan-gage du coeur, en langage de v'erit'e: voil`a ce qu’il signifie: «aurais-je le temps de penser `a toi et `a tes lettres». La mine qui accompagnait le compliment l’ex-primait ainsi. — Vous me m'eprisez, Madame; vous craignez de faire voir aux autres que vous avez m^eme la patience de m’'ecouter; je ne l’ai que trop compris; vous cherchez toujours des moyens pour 'eviter un moment d’entretien que je m’empresse de saisir: c’est clair, vous m’avez dit vous-m^eme, ce que je dois faire…
Eh bien, Madame! quelque p 'enible que soit pour moi le sacrifice, je le consommerais: j’^oterai de vos yeux l’objet de vos d'ego^uts et de vos m'epris, je vous 'epargnerai la peine de me voir.
Les 'egards que je vous dois, Mme, `a vous et `a Mr votre 'epoux m’oblige-ront de para^itre de temps en temps chez vous jusqu’`a une certaine 'epoque afin d’'eviter une interpr'etatation; mais ces visites seront courtes et ne vous comprometteront point, comme vous avez eu la bont'e de me le si gnifier.
La fiert 'e naturelle `a des gens qui n’ont pas le front d’airain, me le com-mande; je ne peux pas supporter qu’on me m'eprise, je ne veux pas non plus ^etre `a charge `a personne.
Je me rappelle bien ce que vous avez dit une fois des gens pauvres qui ont du caract `ere, au sujet d’une de nos connaissances: «Il est fier, parce qu’il est pauvre». Eh bien, Madame, je suis plus pauvre encore, et je suis fier, bien que la pauvret'e ne soit pas un m'erite `a 'etaler, comme ce n’est non plus une honte `a cacher!
Une de mes lettres pr 'ec'edentes vous aura instruite de la justice que je sais me rendre `a moi-m^eme, de la vraie opinion que j’ai de mon individu. Il reste encore un grand d'efaut que je n’ai point nomm'e, mais que j’ai fait voir dans plusieurs occasions: c’est l’exc`es de franchise.
Que vous ai-je fait, Madame? je vous aimais!..
Si vous m ’eussiez vu hier dans l’'etat angoiss'e o`u je me trouvais, mon visage enflamm'e, mes yeux 'egar'es, si vous eussiez pu sentir les palpitations in-termittentes de mon coeur… etc. Non! je n’ai pas voulu vous offrir ce spectacle (qui vous aurait peut-^etre attrister: je me suis enfui `a toute force). Arriv'e pr`es de corps-de-garde, en face de la petite 'eglise, je me suis trouv'e mal; un bon soldat, qui 'etait en faction, eut piti'e de mon 'etat, il a sonn'e des camarades, qui m ’ont introduit ou plut^ot port'e dans l’int'erieur et m’ont prodigu'e tous les se-cours qu’ils pouvaient imaginer; gr^ace aux soins de ces excellents militaires, je me suis un peu remis au bout de quelques moments et je suis parti. Etant rentr'e chez moi, j’ai eu un acc`es de fi`evre; le sommeil fuyait de mes yeux; mon coeur 'etait serr'e et ma poitrine oppress'ee comme si un poids 'enorme m’'ecra-sait et me cessait la respiration. Vers dix heures du matin, deux ruisseaux de larmes, de ces larmes br^ulantes de d'esespoir, m’ont un peu soulag'e; mais je n’ai pas pu fermer la paupi`ere.
Quand je me souviens que voil `a un mois, que j’ai 'et'e trait'e bien autre-ment! Oh! c’'etait le jour de mon bonheur, trop <нрзб.>, il est seul dont le s ouvenir me soit doux, dont l’agr'eable image effleure encore mes l`evres d’un sou-rire des bienheureux, il m’ouvrait les cieux pour me replonger dans l’abyme du n'eant. Je me dit alors: Oh, de qui dependait mon bonheur? et qui s’est jou'e du cr'edule? Confiant, je me livrai enti`erement… <незак.>
Simple et confiant, je me sens si faste; malheureux par ma condition, d 'etromp'e du bonheur et des plaisirs de la vie, presque mort dans l’^ame… Oh! Si j’'etais mort en effet, ce serait pour moi une f'elicit'e… [334]
Jouissez, Madame, du bonheur qui doit toujours ^etre votre partage. Oub-liez un malheureux qui n’est pas digne de votre souvenir, arrachez son nom partout o`u il se trouve, ainsi que tout ce qui peut le rappeler `a votre m'emoire. Adieu, Madame!
J’ai l’honneur d’^etre avec une estime sans bornes (je veux cacher au fond de mon ^ame l’expression des sentiments plus tendres).
Madame!