Tristan, toujours endormi, se retourne dans son canapé pour trouver une position plus confortable.
Silence.
– … Vos réactions?
Silence.
– Pas même vous, Louis?
– Depuis la constitution de notre équipe, vous êtes persuadé que je suis une sorte de meneur, et que les trois autres, sans doute intimidés par ma grande expérience, n'osent pas s'exprimer. Pour vous prouver combien c'est faux, je vais vous dire comment nous allons procéder. Chacun de nous va prendre une feuille et écrire et qu'il pense de tout ça, à chaud, sans la moindre concertation qui risquerait de l'influencer.
Séguret perd un tout petit peu de sa superbe et s'assoit. En moins de trois minutes, les copies sont rendues. Ségure lit avec une lenteur infernale.
Il se lève sans moufter. Digne. Met son manteau. Regarde un instant vers nous avant de sortir.
– La première fois que vous êtes entrés dans ce bureau, vous n'étiez que quatre minables qui m'auraient léché les bottes pour avoir ce job. N'oubliez jamais que c'est moi qui vous ai donné votre dernière chance. La dernière.
Après le déjeuner, j'ai proposé aux autres de revoir l'épisode d’hier, comme ça, par curiosité. Encore un peu secoués par la visite de Séguret, ils m'ont suivi.
Plus personne n'a envie de persifler comme nous le faisons d'habitude quand apparaît le moindre acteur du feuilleton. Il y a quelque chose de presque solennel dans l'air, comme si on s'avouait enfin les sentiments qu'on porte à quelqu'un qu'on n'a jamais manqué d’égratigner. C'est peut-être mon premier vrai regard sur la Saga. Pendant quatre-vingt-dix-minutes, j'ai la sensation permanente d'être en mouvement, que l'histoire de ces personnages est en marche et leur fin imminente. Je crois enfin au cancer de Walter, il a fallu que je voie les images pour avoir la preuve que ça fonctionnait. L'acteur a laissé tomber son côté rock'n'roll pour jouer, simplement, le type qui a peur des résultats d'analyses. Le toubib tourne autour du pot, Walter a envie d'une phrase nue, une seule. J'aime bien la tête qu'il a, à ce moment précis. Quand on lui annonce qu'il a un cancer des poumons, il sort dans la rue, cotonneux. Il regarde les gens qui passent. Des figurants. Le réalisateur a pris la peine de filmer des gens qui passent dans la rue et ne se doutent de rien. À l'un d'eux, Walter demande une cigarette et du feu. Il la regarde au bout de ses doigts comme si c'était la première fois qu'il en tenait une. Et c'est la première fois qu'il en tient une. Il prend une bouffée, tousse comme un gosse, puis en reprend une autre avec un très léger sourire. Il n'a rien besoin de dire, sur son visage on lit quelque chose comme: «Ce n'est pas si mauvais, je ne sais pas pourquoi je m'en suis passé si longtemps.» De retour chez lui, il rencontre Fred qui lui promet de trouver un remède définitif à la course tangentlelle du crabe. Ce sera sa nouvelle croisade.