Dans la pièce à côté, Mildred et la Créature se serrent dans les bras l'un de l'autre. Là encore, pratiquement pas un mot. D'ailleurs, la Créature n'en connaît pas plus de deux. Il est toujours aussi nu, elle toujours aussi brillante. Il fait glisser une manche de tee-shirt pour dévoiler la peau brûlée de Mildred, il y enfouit son visage. Elle cite un vers d'une poétesse américaine, il ne comprend évidemment rien. Il lape un verre d'eau plus qu'il ne le boit. Elle passe ses mains sur son ventre qui commence à s'arrondir. Je croîs n'avoir rien vu de plus fusionnel de ma vie. Il règne une touffeur d'amour en apesanteur dans cette pièce, et je ne sais pas à quoi ça tient. Sans doute à quelque chose de flou entre nostalgie et espoir, quelque chose que Mathilde gardait en elle depuis longtemps et que le réalisateur a su demander aux acteurs. Et cette drôle d'alchimie nous revient au visage comme un boomerang, là, sur l'écran. Le Vieux fait un arrêt sur image et demande à Mathilde s'il est vraiment question de faire naître un enfant d'ici le 21 juin.
– Je manque d'expérience dans ce domaine mais pourquoi pas?
– Ça ferait tellement plaisir à Séguret.
– Parfois j'ai du mal à comprendre pourquoi ce petit couple plaît autant, j'en ai créé tellement d'autres… Une étudiante en psycho veut leur consacrer sa thèse. Elle me pose des questions invraisemblables sur l'osmose du sens et de la sauvagerie, le paradis perdu, les injures du corps, l'état de nature et le sexe cérébral. Je réponds qu’il est inutile d'aller chercher si loin, au départ je voulais juste proposer une version moderne de
Les images défilent à nouveau. Camille est de plus en plus glamour. Depuis que Marie est partie, elle est devenue l'objet fantasmatique du feuilleton. Séguret a poussé dans ce sens-là, bien sûr. Aujourd'hui, celle qui joue le rôle pose dans des magazines de charme et donne des conseils beauté. Elle rassure les journalistes: «Non, Camille ne se suicidera pas.» Pour l'instant, sur l'écran, elle est dans le piano-bar d'un hôtel de luxe avec Pedro «White» Menendez, le terroriste kafkaïen. Elle profite d'un moment où Pedro donne quelques ordres au téléphone pour réajuster le micro que Jonas lui a posé entre les seins. Pour elle, il est censé être un grand exportateur de cigares. Pour lui, c'est une call-girl de luxe. Ils discutent gentiment en sirotant des cocktails quand Menendez demande de but en blanc si elle a déjà vu un mort.
– …
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Elle le coupe de façon si spontanée que Menendez a une exprèssion de surprise. Camille ne sait comment rattraper sa bourde.
– …
Il regarde furtivement sa montre et dit:
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Troublée, elle pose une main sur sa poitrine où le micro est enfoui mais choisit de se rapprocher de Pedro. Il l'entoure de ses bras et la plaque contre la banquette. Une seconde plus tard, le bar explose, quelques corps sont soufflés par la déflagration. Camille est indemne.
– J'avais demandé au moins trois macchabées de plus, fait Jérôme.