— On en manquait justement. Ton témoignage va suffire amplement : suspicion de rapt d’enfant. Je suis en train de demander l’aval du divisionnaire. Nous sommes quarante-six, eux seront six, ou huit. Ils ne peuvent nous échapper. Le mieux serait de les avoir tous en groupe, à l’heure du repas.
— Non, tu conserves tes huit gardes, dit Matthieu d’un ton sec. C’est peut-être précisément ce qu’ils attendent : qu’on se mette à nu pour rechercher l’enfant à corps perdu et qu’ils puissent te mitrailler le ventre. Égale trente-sept, moins Mercadet qui n’en peut plus. Soit trente-six. C’est plus qu’il n’en faut.
— Je t’obéis, admit Adamsberg après un court silence, mais je serai sur place, et avec Mercadet. À quelle heure pensez-vous qu’ils se mettent à table ?
— Je dirais dix-neuf heures trente, dit Johan.
— Ou vingt heures, s’ils attendent le chef.
— On n’a plus beaucoup de temps, dit Adamsberg. Fais-nous dîner aussi vite que possible, Johan.
— C’est presque prêt, dit l’aubergiste en mettant la table.
— Matthieu, tes hommes ont ce qu’il faut pour se restaurer ?
— Ils l’ont. Je l’avais prévu.
L’espoir et l’anxiété faisaient trembler Johan jusqu’aux coudes. Adamsberg, très attentif aux signes émotionnels, se leva avec sa béquille, suivi très vite de Retancourt, et l’aida à mettre la table et apporter les plats d’une seule main.
— Josselin connaît la maison, dit Adamsberg en reprenant sa place. On a besoin d’une description précise. Je l’appelle à nouveau. Mercadet, cherchez autant de photos que vous pourrez.
— Je localise, d’abord. La voilà : Montfort est à mi-chemin entre Combourg et Rennes. Sûrement une baraque isolée, comme les autres. Et là aussi, il s’agit encore certainement d’une ancienne longère, mais si rénovée qu’une chatte n’y retrouverait pas ses petits.
— Ah, Josselin, vous voilà, merci, dit Adamsberg. Maël s’est collé en planque cet après-midi près de chez Le Guillou. Trois gars sont venus successivement apporter un sac de jouets, des habits d’enfants et un petit matelas. Et les types ne sont pas ressortis.
— Très futé, Maël, dit Josselin, j’aurais dû y songer.
Adamsberg regarda son portable qui venait de sonner.
— On a l’autorisation du divisionnaire d’investir la maison de Le Guillou, dit-il. Josselin, montrez-nous où elle se situe exactement sur la route de Montfort.
Josselin dessina une croix rouge sur la carte.
— Attention, dit Maël. Il a deux chiens, des bêtes féroces qu’il laisse sûrement rôder le soir, affamées. Il faudra sûrement les tuer. Et surtout, ils vont aboyer dès qu’ils sentiront votre présence. Alors un ou deux des gars sortiront voir de quoi il retourne.
— Apportez de la viande, dit Josselin, beaucoup de morceaux, quinze, et balancez-les par-dessus la haie. Ça occupera les chiens un moment et les fera taire. Une fois le silence revenu, vous pourrez les neutraliser. Je n’aime pas suggérer qu’on abatte des chiens, mais ceux-là ont été élevés pour tuer.
— Comment le savez-vous ?
— Je les ai vus. Des pitt-bulls noirs, hauts, les mâchoires puissantes, plutôt terrifiants. N’est-ce pas, Maël ?
— Affreux. Le genre de bête qui vous saute à la gorge en un bond. Le Guillou doit les emmener chaque fois qu’il vient à Montfort.
— Avant d’atteindre la maison, encore faudrait-il entrer, dit Adamsberg.
— Le portail est haut, hérissé de piques, et une grosse chaîne retient les barreaux de la grille, dit Josselin.
— On le voit très bien ici, dit Mercadet en agrandissant sa photo.
— Infranchissable, dit Adamsberg. La seule solution est de se couler à travers la haie, en y pratiquant une trouée à la scie à main ou avec des forces. Quel endroit vous semble le plus approprié, Josselin ?
— Je n’ai pas vraiment inspecté les lieux, je n’avais pas l’intention de me faire reconnaître. Mais dans la haie côté est, j’ai noté deux arbrisseaux morts. Ce serait facile de tailler là-dedans.
— Qu’est-ce qui borde la haie ?
— Un chemin de terre d’une bonne longueur. Vous aurez la place d’y dissimuler tous les véhicules.
— Parfait. Attention au geste réflexe quand vous sortirez des voitures : ne faites pas claquer les portières, ne les fermez pas. On commence aussitôt à pratiquer la percée et on lance la viande depuis cet endroit. Il faut attirer au plus vite les deux molosses au même point. Celui par lequel on tirera. On achèvera la percée tandis que les chiens seront occupés avec leur viande. Tu en as en réserve, Johan ?
— Oui, mais c’est de la belle viande. C’est dommage de la jeter à des chiens.
— Il s’agit de sauver ta fille, Johan ! s’écria Adamsberg. Alors belle viande ou pas, on s’en fout !
— Pardon, dit Johan en se frottant les cheveux, pardon. Je n’ai plus ma tête. Je vous prépare les morceaux tout de suite.
— Avec des silencieux pour abattre les chiens, ce serait idéal, dit Veyrenc. J’en ai un avec moi.
— Alors vous tirerez, dit Matthieu.