— Six sont des fermes abandonnées, quatre sont des hangars désertés, deux en dur et deux en tôle, trois sont d’anciens ateliers de mécanique, la dernière est la ruine d’une vieille tour.
— Pourriez-vous m’indiquer leurs emplacements par des croix au crayon sur la carte ?
Josselin s’exécuta puis se leva pour aller serrer les épaules de Johan. L’aubergiste avait posé le téléphone à ses côtés, tâchant de ne pas entendre les hurlements et les insultes de sa femme, criant que tout était de sa faute, s’il n’avait pas eu l’idée de se fourrer dans les affaires de cette bande de flics, s’il n’avait pas…
Adamsberg prit le téléphone.
— Madame Kerbrat ? Commissaire Adamsberg, en charge de l’affaire. Votre mari n’est pas…
— Ex-mari.
— C’est moi qu’ils veulent assassiner, pas Rose. Vous me comprenez ? C’est entièrement de ma faute et nous partons sur-le-champ, avec quarante-six policiers, écumer tous les endroits où ils auraient…
— Vous étiez tout le temps fourrés chez lui ! hurla la femme en désespoir. C’est pour cela qu’ils ont choisi ma fille et jamais, jamais Johan n’aurait dû…
Rien à faire. Le pire étant que cette femme n’avait pas tort. Adamsberg reposa le téléphone sur la table. Il avait songé à la faire venir ici pour épauler Johan mais il était clair que c’était hors de question. Johan baissa le son de l’appareil.
Les dix policiers de Combourg stoppèrent à cet instant devant la porte et entrèrent dans l’auberge, toujours cernée par les huit gardes à boucliers, suivis peu de temps après par vingt hommes de Dol-de-Bretagne et de Rennes.
— Il y a quatorze planques possibles à visiter plus les cinq maisons dont on a arrêté les occupants, expliqua Matthieu. Dix-neuf. Et nous sommes trente-six. Pas quarante-six : pardonne-moi de ne pas te compter, Adamsberg, ni toi ni tes gardes spéciaux, ni Mercadet. Mais tu n’es pas valide et toujours menacé. Et Mercadet n’est pas en état.
— Il l’est, il doit l’être. Quant à moi, je ne suis plus menacé.
— Qu’en sais-tu ? Les visées de Robic sont diaboliques.
— Je viens, et mes huit gardes aussi. Nous n’avons que vingt-quatre heures.
— Mais tu ne peux pas courir, mais tu ne peux pas tirer.
— Quarante-cinq ou rien, Matthieu, affirma Adamsberg avec netteté. Et ne t’y oppose pas. Et laissons Mercadet se reposer.
— Très bien, céda Matthieu avec un bref soupir. Robic ne dispose sans doute plus que de quatre hommes, et de son chauffeur muet, mais armé. Un seul homme, voire deux, peuvent se charger de garder Rose, mais il se peut aussi qu’il y ait rassemblement des troupes à la planque pour mettre au point la stratégie à venir. On se retrouvera en minorité devant six hommes armés.
— Et on se fera abattre, dit Adamsberg. Divisons-nous en sept équipes de six à sept hommes pour ratisser tous les lieux. Lieux à visiter de fond en comble. Si une des fermes abandonnées dispose de dépendances, fouillez tout jusqu’au dernier recoin, et surtout les sous-sols. Matthieu, constitue les groupes. Donc sept couleurs sur la carte : équipe verte, équipe rouge, équipe bleue, orange, jaune, brune et équipe noire. Qui a des feutres ici ?
— C’est dans la trousse de la petite, dit Johan d’une voix morte.
— Où est-elle ? demanda doucement Adamsberg.
— Dans sa chambre, à l’étage. Elle est rose avec des étoiles.
Matthieu eut le tact de ne descendre que les sept feutres nécessaires et non la trousse, objet trop suggestif. Il entoura les croix de sept couleurs, que chaque policier photographia pour localiser ses objectifs. Adamsberg envoya sans espoir un message au ministère pour l’informer qu’une enfant mourrait s’ils ne faisaient pas libérer les coupables. Sans réponse à dix-huit heures, il balancerait l’information aux médias. Le fait qu’il s’agisse d’une petite fille ferait peut-être fléchir le ministère face à la réaction de l’opinion. À treize heures vingt-cinq, les troupes policières quittaient l’auberge, laissant Mercadet, abruti de sommeil, et Johan dans un difficile face-à-face.
— Vous voulez vous reposer ? demanda Mercadet d’une voix molle.
— Peux pas, dit Johan en secouant la tête. Veux rester près de mon téléphone.
— Vous voulez qu’on boive un verre ?
Johan secoua la tête.
— Vous voulez regarder la télévision ?
— Surtout pas. Demain, ce sera partout, à la une des journaux, à la télévision, sur Internet, partout. C’est un cauchemar. Ma fille.
— On n’écoutera rien, on ne lira rien. Vous voulez faire une partie d’échecs ?
— Je veux Rose, lieutenant.
D’appel en appel, tous signalaient l’échec de la visite d’une des dix-neuf planques. Tête basse, yeux battus, Mercadet repoussait son téléphone avec dégoût sur la table.
Vers dix-sept heures, tous les hommes étaient revenus, les mains vides.
— Ils la détiennent donc chez l’un d’eux, et pas dans une planque, dit Veyrenc.
— J’y ai pensé, dit Adamsberg. Mais on ne connaît pas leurs adresses, sauf celle de Le Guillou. Et, bon sang, nous devons y aller.
— Aucun droit légal d’investir sa propriété, objecta Matthieu en secouant la tête. On n’a rien contre lui.