— Et pourtant, insista Adamsberg, Le Guillou n’est pas revenu pour rien.
Il s’écoula un long et lourd silence, ponctué du claquement des briquets et du tintement de quelques verres. Chacun ruminait des pensées sombres, cherchait de nouveaux chemins par lesquels aboutir, se projetait au lendemain, treize heures, au moment où la petite serait abattue. Adamsberg avait reçu la réponse du ministère de l’Intérieur mais ne l’avait pas même montrée aux autres tant elle était affligeante.
On entendit frapper à dix-huit heures. Des coups sur la poutre en bois.
— Je veux voir personne, murmura Johan.
— C’est moi, Maël ! Bon Dieu, ouvre, Johan !
Une urgence faisait trembler la voix de Maël. Les gardes le firent entrer et l’ancien bossu resta debout, essoufflé.
— T’as couru ? demanda Matthieu.
— Non, c’est l’énervement. Hier matin, je suis venu à l’auberge pour prendre mon café et à travers les fenêtres, j’ai entendu la voix tendue du vicomte. Quelque chose était arrivé, il n’a pas l’habitude de parler si vite et si fort. Les gardes devant la porte ne m’ont pas laissé passer, ils m’ont fouillé et je me suis installé debout contre une fenêtre, en leur expliquant que j’attendais mon ami Josselin. Oui, c’est interdit d’écouter aux portes mais je voulais savoir. C’est comme ça que j’ai appris que Josselin avait vu Le Guillou revenir, et où. Ça m’intéressait car je méditais de casser la gueule de ce type une bonne fois quand on le reverrait. Et aujourd’hui, vers quatorze heures, j’ai appris la disparition de la petite.
— Comment l’as-tu apprise ? demanda Matthieu. Personne ne le savait.
— Par mon patron, le comptable, qu’est ami avec la maîtresse d’école.
— Continue.
— J’étais retourné. Et puis il m’a pris une idée : si Le Guillou avait rouvert sa maison, c’est qu’il se passait quelque chose. C’est que la gosse avait été enlevée.
— Nous sommes d’accord, dit Adamsberg, tendu.
— Alors j’ai expliqué au patron qu’il m’avait pris une autre idée, rapport à la petite Rose, et j’ai demandé mon après-midi. J’ai filé chez Le Guillou et je me suis installé derrière la haie, planqué de la route par les buissons. Par les ouvertures entre les branchages, je pouvais tout voir. J’ai attendu presque deux heures. Et vers environ seize heures trente y a un gars qui s’est pointé, avec un gros ventre et surtout un paquet. Et le paquet, il était encore dans son sac en plastique. Il est con ce type ou quoi. Ça venait de la boutique de jouets de Combourg. Dire que j’avais failli abandonner. Ah mais non, pas après ça. Je suis resté à l’affût et une heure après, un autre gars a débarqué avec un autre sac, où c’était marqué « Les habits des petits »
Maël marqua un silence.
— Pour les enfants, dit-il dans un souffle. Alors j’ai additionné deux et deux : des jouets – une poupée sans doute –, des vêtements de gosse et un petit matelas. Et je me suis dit comme ça, Maël, c’est là qu’est la petite Rose. Chez cette enflure de Le Guillou. Loin de tout, elle peut crier et pleurer comme elle voudra, personne ne l’entendra.
Johan semblait s’être regonflé comme un ballon tandis que les flics étaient suspendus à ses lèvres.
— Ça vaut bien un coup de chouchen, hein, Johan ?
— Ça en vaut dix ! dit Johan. Toi, quand une idée te traverse, on peut dire que tu laisses pas tomber.
— Et le mieux, c’est que ces trois types, ils ne sont pas ressortis de la maison. Avec Le Guillou, ils sont déjà quatre là-dedans. Et ça serait possible que le roi des enfoirés se pointe aussi. Robic, avec son chauffeur. J’ai attendu encore un peu mais après ça, ils ont fermé le portail. Et ce qu’on peut dire, c’est que les gars qui restent de l’équipe de Robic, c’est pas des futés. Parce que pour ramener les courses sans changer les sacs, faut pas avoir grand-chose dans le ciboulot.
— Maël, pour un peu, je t’engagerais dans ma brigade, dit Adamsberg. Quelle heure est-il ? demanda-t-il en regardant une fois de plus ses montres inutiles.
— Dix-huit heures dix, dit Berrond, réjoui.
— On file prendre une crêpe molle au Café des Arcades et on lance la traque.
— Au Café des Arcades ? s’indigna Johan. C’est pas bon ici ?
— C’est que je ne pensais pas que tu aurais la force de faire la cuisine, dit Adamsberg.
— Je l’ai, la force. Mes poulets étaient déjà cuits de ce matin et mon fond de sauce est prêt. Je n’ai plus qu’à faire chauffer avec le gratin maison, je vous sers dans dix minutes.
— Ça marche, dit Adamsberg en s’asseyant.
— Mais, dit Maël, faut un motif pour lancer un assaut sur une maison.