Vingt minutes plus tard, la maison de Le Guillou était en vue. Tous les véhicules s’enfournèrent dans le chemin de terre. Comme l’avait prévu Josselin, les chiens se mirent à gronder dès que les premiers policiers eurent mis pied à terre. Cinq hommes et Retancourt s’attaquèrent aussitôt à la haie de bois mort, qu’ils ouvraient sans peine, alors que les chiens avaient commencé d’aboyer furieusement. Adamsberg s’était extrait de la voiture et avait avancé péniblement jusqu’à eux.
— La viande, vite, dès maintenant, dit-il.
— Les clébards arrivent au pas de course, dit Veyrenc en ajustant son arme.
La porte d’entrée s’ouvrit et un bel homme parut sur le seuil.
— Ce doit être Le Guillou qui vient se rendre compte, dit Adamsberg. Lui seul ne craint pas les pitt-bulls.
Veyrenc et Noël avaient achevé de lancer les morceaux de viande, assez près de la haie pour pouvoir tirer, et les chiens s’étaient jetés dessus. Ils n’aboyaient plus. Le lieutenant tendit son bras à travers la haie et visa à la gorge. Les deux molosses s’affaissèrent l’un après l’autre sans un soupir.
Dans le silence revenu, ils virent Le Guillou, trop éloigné pour repérer ses bêtes à terre, hausser les épaules et refermer la porte. Retancourt acheva la percée dans la haie et se prépara à rejoindre l’équipe nord, suivie de Veyrenc. Il était vingt heures.
Les lumières s’allumèrent dans la salle principale, éclairant les deux plus grandes fenêtres.
— Chacun s’avance en progressant au ras du sol et rejoint le poste fixé, dit Adamsberg. L’herbe est coupée ras, mais votre équipement va vous ralentir. Pas de mouvement précipité, nous avons le temps. Ceux de l’arrière – dirigés par Veyrenc –, attendez d’entendre le fracas de la porte d’entrée avant de démolir l’accès.
Adamsberg, resté avec seulement quatre gardes spéciaux et arme en main, suivit des yeux les agents qui se traînaient vers leurs positions. Une fois les douze hommes de Matthieu parvenus à la porte, le commissaire leva le bras vers Adamsberg. Signe que la serrure de la porte allait exploser. Serrure si renforcée qu’il fallut six balles aux policiers pour la faire tomber. L’un d’eux enfonça la porte démantibulée d’un coup de pied et les treize policiers investirent la pièce, deux se plaçant derrière chacun des cinq convives attablés, portant le canon de leur arme à leur cou tout en maintenant leurs mentons serrés dans l’autre bras. Matthieu avait reconnu Le Guillou, le beau gosse de la photo de classe, mais il ne connaissait pas les quatre autres hommes. Il se rua sur Robic, qui se tenait debout, immobile au milieu de la salle, tenant une bouteille d’une main, attrapant son pistolet de l’autre. Il le désarma d’un coup sec, l’étrangla d’un bras, canon pointé sur la carotide.
— Où est la petite ? cria-t-il. Quarante-six flics, vous n’avez pas une chance ! Où est la petite ? cria-t-il d’une voix plus forte.
— Je ne saisis pas, dit Robic d’une voix étranglée par la pression du bras, mais toujours hautaine. Je suis venu dîner chez des amis et je ne sais pas de quelle petite vous voulez parler.
— Gardes, ôtez-leur leurs armes et menottez-les, ordonna Matthieu tout en faisant asseoir Robic de force.
— La gosse ! cria Berrond en secouant Le Guillou. Où t’as mis la gosse ? À la cave ? C’est de là qu’il venait, ton patron ?
— Gosse ? Il n’y a pas de gosse ici, répondit durement Le Guillou.
— Et les jouets ? Les vêtements ? Le matelas d’enfant ? C’est toi qui vas dormir dessus peut-être ?
Pendant ce temps, l’équipe nord avait pénétré à l’arrière – une cuisine – et après un court instant, Veyrenc fit signe à Retancourt.
— Restez tous ici, dit-il aux policiers. Retancourt, on file au soupirail.
Un doute inquiétant avait saisi Retancourt face au calme imperturbable de ces hommes. Et si Rose n’était pas là ? Et si les jouets et les vêtements n’étaient que des cadeaux préparés par Le Guillou pour une fillette de sa famille ? Oui, mais le matelas. Le matelas prouvait que la gamine était ici.
Elle et Veyrenc s’allongèrent dans l’herbe, les torches braquées sur le soupirail.
— Vous la voyez ? demanda Veyrenc.
— Oui. Une petite forme sur un matelas. Éclairez plus à droite. Et ça, c’est une poupée, une masse de cheveux blonds. Elle est là, Veyrenc, elle est bien là.
— Vous avez eu peur ?
— Oui.
— Moi aussi. Je préviens Matthieu.
— Elle est où ta cave ? demanda Matthieu à Le Guillou, sitôt le message reçu.
L’homme haussa les épaules et sourit.
— Escalier sur votre gauche. Bonne chance.
Dès qu’ils eurent dévalé les marches, Matthieu et Berrond comprirent l’ironique « Bonne chance » lancé par un Le Guillou sûr de lui. La porte de la cave était blindée.
— Rose ! Rose ! Parle-nous, c’est la police ! cria Berrond.
Sans réponse, Berrond martela de ses poings l’acier de la porte en ne cessant d’appeler en vain.
— Ils l’ont peut-être déjà tuée, dit-il, affolé. Ou blessée pour la faire taire.
— C’est bien de là que venait Robic, dit Matthieu, les dents serrées. Il remontait de la cave.