Jalousie… Fid'elit'e… Puret'e… Innocence… Trahison… Sombres puissances, verbes terribles au nom desquels coul`erent des torrents de sang, des torrents de larmes… Ces mots nous font fr'emir comme le souvenir de l'inquisition, de la torture, de la peste – et ils sont suspendus sur notre t^ete comme le glaive de Damocl`es – et c'est sous ce glaive qu'a toujours v'ecu et vit encore
Il n'est pas facile de les mettre `a la porte par des n'egations injurieuses. Ils restent derri`ere le coin et sommeillent – tout prets d'accourir `a la premi`ere alarme – et d'evorer tout – tout ce qui est pr`es – tout ce qui est loin… an'eantir nous-m^emes.
La bonne intention d''eteindre `a fond ces incendies – `a ce qu'il para^it n'est pas possible, il faut peut-^etre se r'esigner `a diriger le feu d'une mani`ere humaine, `a le dompter et dominer. On ne peut 'egalement ni'finir avec les passions – par la logique, ni les faire acquitter par les tribunaux. Les passions sont des faits et non des dogmes – on peut s'evir contre elles, mais non d'eraciner.
La jalousie, plus encore, jouissait des droits exceptionnels. Au lieu de frein et de r'esistance – elle ne trouvait qu'encouragements et sympathie. Par sa propre force – passion violente, ardente – au lieu d'^etre dompt'ee – elle 'etait pouss'ee en avant par le choeur.
La doctrine chr'etienne – qui `a force de m'epris et de haine pour le corps – met si haut tout ce qui est charnel, le culte aristocratique de la race, de la puret'e du sang – d'evelopp`erent jusqu'au monstrueux la notion de la supr^eme offense, de la tache irr'eparable. La jalousie recut en main le
Nous voil`a encore une fois devant les fourches Caudines des antinomies. Le vrai et le faux sont de deux c^ot'es. Un
Hegel faisait absorber les antinomies dans l'esprit absolu… Proudhon – dans l'id'ee de la justice.
L'absolu est un dogme philosophique, la justice peut s'evir, condamner – mais n'a r'eellement pas de prise sur les passions. La passion est par sa nature injuste, partielle. La justice fait abstraction des individualit'es, elle est unipersonnelle – la passion est par excellence individuelle, partielle.
Radicalement an'eantir la jalousie veut dire en m^eme temps l’an'eantissement de l'attachement personnel – en mettant `a sa place un attachement pour le sexe. Mais ce n'est que l’
R'eduire le rapport de l'homme et de la femme `a une rencontre fugitive, momentan'ee, sans trace – est, il nous semble, au m^eme degr'e impossible que de river un homme et une femme jusqu'`a la tombe – dans un mariage indissoluble. Les deux cas peuvent se rencontrer dans les extr'emit'es des relations sexuelles et matrimoniales – comme des cas particuliers, comme des exceptions – mais non comme norme. Le rapport de hasard cessera ou tendra `a une liaison plus durable, le mariage indissoluble – `a l''emancipation d'un devoir sans fin, `a l'affranchissement d'une cha^ine, peut-^etre volontairement accept'ee – mais toujours une cha^ine.
La vie protestait constamment contre ces deux extr^emes. L'indissolubilit'e dumariagea ete acceptee hypocritement ou sans s'en rendre compte. Une rencontre de hasard n'avait jamais d'investiture – on la cachait – comme on se vantait du mariage. Tous les efforts pour r'eglementer officiellement les maisons publiques – scandalis`erent l'opinion publique, le sens moral – nonobstant leur caract`ere de restriction. On voit dans la r'eglementation m^eme une reconnaissance.
L'homme sain fuit 'egalement le clo^itre et le haras, la st'erile abstinence du moine et l'amour st'erile des courtisanes.