Sur toute la fronti`ere de la Sib'erie, de ce c^ot'e des monts oura-liens, les paysans ont coutume de mettre devant la fen^etre un morceau de pain avec du sel, quelquefois un petit pot de lait du
– Et on ne vole jamais? – dis-je `a mon guide.
– Non,
Ce ne sont pas des hommes encore!
Apr`es avoir quitt'e la vieille – qui avait conscience de prendre cinq francs pour la nourriture de quatre individus et de deux chevaux, y compris une bouteille enti`ere de kirsch – nous continu^ames notre route par une mont'ee plus rapide. Le chemin – mince incision dans le roc – n'avait parfois qu'un m`etre de largeur et serpentait sous des rochers suspendus sur nos t^etes, frisant la lisi`ere d'un pr'ecipice qui devenait de plus en plus profond. Tout en bas s''elancait, avec bruit et fureur, le Wesp, comprim'e dans un lit 'etroit; il se h^atait 'evidemment de sortir au large. Il y a trop du Salvator Rosa dans ces ascensions. Cela use les nerfs, les fatigue, les accable… Des heures et des heures passent, le spectacle est le m^eme… D'autres rochers froncent les sourcils et sont pr^ets `a vous pousser dans l'ab^ime; le Wesp mugit; tant^ot visible et couvert d''ecume blanche, tant^ot se perdant derri`ere des montagnes, des for^ets de sapin; les fers du cheval r'esonnent sur la pierre, les guides r'ep`etent les m^emes deux notes: «Oh – Eh! I–Ve!» Les contours s'effacent, une transpira' tion de brouillard se l`eve des ab^imes… Le Wesp mugit, les pas des chevaux r'esonnent. – «Oh – Eh! – I–Ve!» – Cela agace les nerfs, cela les irrite.
Zermatt est entour'e de montagnes, presque adoss'e au Mont-Rose; il faisait nuit derri`ere ce paravent colossal. – Lorsque nous entr^ames dans une petite auberge, la seule de l'endroit en 1849, nous y trouv^ames encore un voyageur – c''etait un g'eologue 'ecossais – et la ma^itresse de la maison. Nous 'etions autour d'une table en attendant le souper, lorsque le g'eologue nous dit: «Messieurs, c'est un bruit de sonnettes de chevaux ou de mulets!» – «Oui, oui, – dit la ma^itresse, en 'ecoutant attentivement. – Voil`a du fort! grimper cette montagne lorsqu'on ne voit pas sa propre main». Elle prit une lanterne et alla `a la rencontre; nous all^ames l'accompagner. – On entendait les sonnettes de plus en pins; quelque chose se d'etacha du fond noir, et une minute apr`es une Anglaise, raide, haute et en amazone, descendit tranquillement de cheval, comme si elle revenait `a la maison apr`es une promenade `a Hyde-Park; le second cavalier 'etait son fils, un garcon de treize `a quatorze ans. – La dame entra dans la chambre et demanda du th'e. Le g'eologue l'avait d'ej`a rencontr'ee et lui adressa la parole. Un quart d'heure apr`es, elle dit `a son fils d'aller demander aux guides combien de temps il leur fallait pour faire reposer et nourrir les chevaux.
– Comment! – dit l'Ecossais, – vous voulez partir par cette obscurit'e?
– Nous descendons, – dit-elle, – de l'autre c^ot'e, du c^ot'e italien du Monte-Rosa.
– Tant pis, vous avez une mauvaise descente. Restez ici jusqu'au matin.
– Je ne le puis, j'ai d'avance dispos'e du temps et on nous attend.
Deux heures apr`es, l'Anglaise se mit `a cheval, son fils monta gaiement le sien, et j'ouvris la fen^etre pour entendre le
Quelle femme! Quelle race!
Le lendemain, avant le lever du soleil, nous pr^imes un troisi`eme guide qui connaissait bien les sentiers et sifflait encore ieux des chansons suisses. Nous avions l'intention de monter jusqu'`a l'endroit o`u l'on pouvait encore aller `a cheval.
J’avais peur que la journ'ee ne soit manqu'ee, un brouillard blanch^atre couvrait tout, et cela si bien qu'on ne voyait pas m^eme le mont Cervin. Lе ma^itre de l'h^otel vint jeter encore plus de trouble dans mon ^ame en disant:
Une pluie fine et froide remplaca le brouillard, et peu apr`es, pluie et brouillard 'etaient au-dessous de nous un oc'ean de fum'ee, un monde en fusion. Au-dessus, le ciel bleu et pur.