Il est 'evident qu’aussi longtemps que la paix durera, ce d'esaccord n’am`enera aucune perturbation grave et manifeste; le mal continuera `a couler sous terre; vos gouvernements, comme de raison, ne changeront pas leur direction, ne bouleverseront pas de fond en comble toute la politique ext'erieure de l’Allemagne pour se mettre `a l’unisson de quelques esprits fanatiques ou brouillons; ceux-ci, sollicit'es, pouss'es par la contradiction, ne croiront pas pouvoir s’engager assez avant dans la direction la plus oppos'ee `a celle qu’ils r'eprouvent, et c’est ainsi que, tout en continuant `a parler de l’unit'e de l’Allemagne, les yeux toujours tourn'es vers l’Allemagne, ils s’approcheront pour ainsi dire `a reculons vers la pente fatale, vers la pente de l’ab^ime, o`u votre patrie a d'ej`a gliss'e plus d’une fois… Je sais bien, monsieur, que tant que nous conserverons la paix, le p'eril que je signale ne sera qu’imaginaire… Mais vienne la crise, cette crise dont le pressentiment p`ese sur l’Europe, viennent ces jours d’orage, qui m^urissent tout en quelques heures, qui poussent toutes les tendances `a leurs cons'equences les plus extr^emes, qui arrachent leur dernier mot `a toutes les opinions, `a tous les parties… monsieur, qu’arrivera-t-il alors? Serait-il donc vrai qu’il y ait pour les nations plus encore que pour les individus une fatalit'e inexorable, inexpiable? Faut-il croire qu’il y ait en elles des tendances plus fortes que toute leur volont'e, que toute leur raison, des maladies organiques que nul art, nul r'egime ne peuvent conjurer?.. En serait-il ainsi de cette terrible tendance au d'echirement que l’on voit, comme un ph'enix de malheur, rena^itre `a toutes les grandes 'epoques de l’histoire de votre noble patrie? Cette tendance, qui a 'eclat'e au Moyen-Age par le duel impie et antichr'etien du Sacerdoce et de l’Empire, qui a d'etermin'e cette lutte parricide entre l’empereur et les princes, puis, un moment affaiblie par l’'epuisement de l’Allemagne, est venue se retremper et se rajeunir dans la R'eformation, et, apr`es avoir accept'e d’elle une forme d'efinitive et comme une conjuration l'egale, s’est remise `a l’oeuvre avec plus de z`ele que jamais, adoptant tous les drapeaux, 'epousant toutes les causes, toujours la m^eme sous des noms diff'erents jusqu’au moment o`u, parvenue `a la crise d'ecisive de la guerre de Trente Ans, elle appelle `a son secours l’'etranger d’abord, la Su`ede, puis s’associe d'efinitivement l’ennemi, la France, et gr^ace `a cette association de forces, ach`eve glorieusement en moins de deux si`ecles la mission de mort dont elle 'etait charg'ee.
Ce sont l`a de funestes souvenirs. Comment se fait-il qu’en pr'esence de souvenirs pareils vous ne vous sentiez pas plus alarm'e par tout sympt^ome qui annonce un antagonisme naissant dans les dispositions de votre pays? Comment ne vous demandez-vous pas avec effroi si ce n’est pas l`a le r'eveil de votre ancienne, de votre terrible maladie?
Les trente ann'ees qui viennent de s’'ecouler peuvent assur'ement ^etre compt'ees parmi les plus belles de votre histoire; depuis les grands r`egnes de ses empereurs saliques jamais de plus beaux jours n’avaient lui sur l’Allemagne; depuis bien des si`ecles l’Allemagne ne s’'etait aussi compl`etement appartenue, ne s’'etait sentie aussi