De l’'etat actuel des choses peuvent sortir les trois combinaisons suivantes, les seules possibles d'esormais. L’Allemagne, alli'ee fid`ele de la Russie, gardera sa pr'epond'erance au centre de l’Europe; ou bien cette pr'epond'erance passerait aux mains de la France. Or, savez-vous, monsieur, ce que serait pour vous la pr'epond'erance aux mains de la France? Ce serait, sinon la mort subite, au moins d'ep'erissement certain de l’Allemagne. Reste la troisi`eme combinaison, celle qui sourirait peut-^etre le plus `a certaines gens: l’Allemagne alli'ee `a la France contre la Russie… H'elas, monsieur, cette combinaison a d'ej`a 'et'e essay'ee en 1812 et, comme vous savez, elle a eu peu de succ`es. D’ailleurs je ne pense pas qu’apr`es l’issue des trente ann'ees qui viennent de s’'ecouler, l’Allemagne f^ut d’humeur `a accepter les conditions d’existence d’une nouvelle conf'ed'eration du Rhin: car toute alliance intime avec la France ne peut jamais ^etre que cela, pour l’Allemagne, et savez-vous, monsieur, ce que la Russie a entendu faire, lorsque, intervenant dans cette lutte engag'ee entre les deux principes, les deux grandes nationalit'es qui depuis des si`ecles se disputaient l’Occident europ'een, elle l’a d'ecid'ee au profit de l’Allemagne, du principe germanique? Elle a voulu donner gain de cause une fois pour toutes au droit, `a la l'egitimit'e historique, sur le proc'ed'e r'evolutionnaire. Et pourquoi a-t-elle voulu cela? Parce que le droit, la l'egitimit'e historique, c’est sa cause `a elle, sa cause propre, la cause de bon avenir, c’est l`a le droit qu’elle r'eclame pour elle-m^eme et pour les siens. Il n’y a que la plus aveugle ignorance, celle qui ferme volontairement les yeux `a la lumi`ere, qui puisse encore m'econna^itre cette grande v'erit'e, car enfin n’est-ce pas au nom de ce droit, de cette l'egitimit'e historique, que la Russie a relev'e toute une race, tout un monde de sa d'ech'eance, qu’elle l’a appel'e `a vivre de sa vie propre, qu’elle lui a rendu son autonomie, qu’elle l’a constitu'e? Et c’est aussi au nom de ce m^eme droit qu’elle saura bien emp^echer que les faiseurs d’exp'eriences politiques ne viennent arracher ou escamoter des populations enti`eres `a leur centre d’unit'e vivante, pour pouvoir ensuite plus ais'ement les tailler et les faconner comme des choses mortes, au gr'e de leurs mille fantaisies, qu’ils ne viennent en un mot d'etacher des membres vivants du corps auquel ils appartiennent, sous pr'etexte de leur assurer par l`a une plus grande libert'e de mouvement…
L’immortel honneur du Souverain qui est maintenant sur le tr^one de Russie, c’est de s’^etre fait plus pleinement, plus 'energiquement qu’aucun de ses devanciers le repr'esentant intelligent et inflexible de ce droit, de cette l'egitimit'e historique. Une fois que son choix a 'et'e fait, l’Europe sait si depuis trente ans la Russie y est rest'ee fid`ele. On peut affirmer, l’histoire `a la main, qu’il serait bien difficile de trouver dans les annales politiques du monde un second exemple d’une alliance aussi profond'ement morale que celle qui unit depuis trente ans les souverains de l’Allemagne `a la Russie, et c’est ce grand caract`ere de moralit'e qui l’a fait durer, qui l’a aid'ee `a r'esoudre bien des difficult'es, `a surmonter bien des obstacles, et maintenant, apr`es l’'epreuve des bons et des mauvais jours, cette alliance a triomph'e d’une derni`ere 'epreuve, la plus significative de toutes: l’inspiration qui l’avait fond'ee s’est transmise, sans choc et sans alt'eration, des premiers fondateurs `a leurs h'eritiers.