Contemple-les, mon ^ame; ils sont vraiment affreux!Pareils aux mannequins; vaguement ridicules;Terribles, singuliers comme les somnambules;Dardant on ne sait o`u leurs globes t'en'ebreux.Leurs yeux, d'o`u la divine 'etincelle est partie,Comme s'ils regardaient au loin, restent lev'esAu ciel; on ne les voit jamais vers les pav'esPencher r^eveusement leur t^ete appesantie.Ils traversent ainsi le noir illimit'e,Ce fr`ere du silence 'eternel. ^O cit'e!Pendant qu'autour de nous tu chantes, ris et beugles,'Eprise du plaisir jusqu'`a l'atrocit'e,Vois! Je me tra^ine aussi! Mais, plus qu'eux h'eb'et'e,Je dis: Que cherchent-ils au Ciel, tous ces aveugles?
La rue assourdissante autour de moi hurlait.Longue, mince, en grand deuil, douleur majestueuse,Une femme passa, d'une main fastueuseSoulevant, balancant le feston et l'ourlet;Agile et noble, avec sa jambe de statue.Moi, je buvais, crisp'e comme un extravagant,Dans son oeil, ciel livide o`u germe l'ouragan,La douceur qui fascine et le plaisir qui tue.Un 'eclair… Puis la nuit! — Fugitive beaut'eDont le regard m'a fait soudainement rena^itre,Ne te verrai-je plus que dans l''eternit'e?Ailleurs, bien loin d'ici! Trop tard! jamais peut-^etre!Car j'ignore o`u tu fuis, tu ne sais o`u je vais,^O toi que j'eusse aim'ee, ^o toi qui le savais!
Dans les planches d'anatomieQui tra^inent sur ces quais poudreuxO`u maint livre cadav'ereuxDort comme une antique momie,Dessins auxquels la gravit'eEt le savoir d'un vieil artiste,Bien que le sujet en soit triste,Ont communiqu'e la Beaut'e,On voit, ce qui rend plus compl`etesCes myst'erieuses horreurs,B^echant comme des laboureurs,Des 'Ecorch'es et des Squelettes.
II
De ce terrain que vous fouillez,Manants r'esign'es et fun`ebres,De tout l'effort de vos vert`ebres,Ou de vos muscles d'epouill'es,Dites, quelle moisson 'etrange,Forcats arrach'es au charnier,Tirez-vous, et de quel fermierAvez-vous `a remplir la grange?Voulez-vous (d'un destin trop dur'Epouvantable et clair embl`eme!)Montrer que dans la fosse m^emeLe sommeil promis n'est pas s^ur;Qu'envers nous le N'eant est tra^itre;Que tout, m^eme la Mort, nous ment,Et que sempiternellement,H'elas! Il nous faudra peut-^etreDans quelque pays inconnu'Ecorcher la terre rev^echeEt pousser une lourde b^echeSous notre pied sanglant et nu?