«Le peuple désarmé de Madrid croyait être assez fort pour détruire l’armée française et défendre Ferdinand. Ce fut au point que l’on aurait trouvé des obstacles invincibles au cas que l’on eût voulu employer le moyen unique de mettre Ferdinand en liberté.
Napoléon
. — Quel était donc ce moyen, chanoine?Escoïquiz
. — Celui de faire secrètement prendre la fuite au roi.Napoléon
. — Et dans quelle partie du monde l’auriez-vous transporté?Escoïquiz
. — À Algésiras où nous avions déjà quelques troupes et où nous eussions été dans le voisinage de Gibraltar.Napoléon
. — Qu’auriez-vous fait après?Escoïquiz
. — Toujours invariables dans notre maxime de conserver avec Votre Majesté une alliance intime, mais en même temps honorable, nous lui aurions proposé péremptoirement de la continuer, sous la condition que nos places frontières nous seraient rendues sans délai et que les troupes françaises sortiraient de l’Espagne; et dans le cas où Votre Majesté se serait refusée à souscrire à ces propositions, nous lui aurions fait la guerre de toutes nos forces jusqu’à la dernière extrémité. Telle eût été mon opinion, Sire, dans le cas où nous aurions eu connaissance d’une manière ou d’autre de vos véritables intentions!Napoléon
. — Vous pensez très bien; c’est là tout ce que vous auriez eu de mieux à faire.»Des esprits peu éclairés s’écrieront: «Vous nous vantez Napoléon à l’égard de l’Espagne, comme s’il eût été un Washington.»
Je réponds: «L’Espagne rencontra le hasard le plus heureux qui puisse se présenter à un pays profondément corrompu et, par conséquent, hors d’état de se donner la liberté à lui-même. Donner à l’Espagne de 1808 le gouvernement des États-Unis aurait semblé aux Espagnols, qui sont les plus insouciants des hommes, la plus dure et la plus pénible tyrannie. L’expérience, que Joseph et Joachim ont faite à Naples, éclaircit la question; ils ont été rois avec presque tous les ridicules du métier, mais ils ont été modérés et raisonnables. Cela a suffi pour avancer rapidement, dans ces pays, le bonheur et la justice et pour commencer à y mettre le travail en honneur. Remarquez que la sensation pénible, qu’un individu éprouve à rompre des habitudes vicieuses, est également ressentie par un peuple. La liberté demande qu’on s’en occupe durant les premières années. Cette gêne masque, aux yeux des sots, le bonheur qui doit résulter des nouvelles institutions.
Ainsi pour l’Espagne, Napoléon était meilleur que Washington; ce qui lui manquait en libéralité, il l’avait en énergie. Il y a un fait qui est palpable, même à l’égard des gens pour qui les choses morales sont invisibles: la population de l’Espagne qui n’était que de huit millions quand Philippe II y entra, a été portée à douze par le peu de bon sens français que les rois de cette nation y ont introduit. Or l’Espagne plus grande que la France devrait être plus fertile à cause de son soleil; elle a presque tous les avantages d’une île. Quelle est donc la puissance secrète qui empêche la naissance de quatorze millions d’hommes? On répondra: «C’est le manque de culture des terres.» Je répliquerai à mon tour: «Quel est le venin caché qui empêche la culture des terres?»