Napoléon reçut à Bordeaux la nouvelle de la bataille de Baylen, où Castanos et Reding firent mettre bas les armes au général Dupont. C’était son premier revers; il en fut au désespoir. Ni la Russie, ni Waterloo n’ont jamais rien produit d’approchant sur cette âme hautaine. «Voler des vases sacrés, s’écria-t-il dans sa fureur, cela se conçoit d’une armée mal disciplinée, mais signer qu’on a volé!» Et un instant après: «Je connais mes Français: il fallait leur crier: «Sauve qui peut!» Au bout de trois semaines, ils me seraient tous revenus.» Il interrogeait les assistants: «Mais n’y a-t-il pas une loi dans un code pour faire fusiller tous ces infâmes généraux?»
Chapitre XLII
Suite de la guerre d’Espagne
Napoléon revint à Paris, mais il fallut bientôt repartir pour l’Espagne. Nous laisserons, comme à l’ordinaire, l’histoire générale de la guerre qui exige de longs détails. Il passa plusieurs revues aux portes de Madrid. Comme à son ordinaire, il se trouva au milieu d’un peuple nombreux et, même une fois, au milieu d’une forte colonne de prisonniers espagnols. Ces fanatiques, vaincus, déguenillés et brûlés du soleil avaient des figures horribles.
M. de Saint-Simon, grand d’Espagne, ancien membre de l’Assemblée Constituante, avait combattu dans Madrid contre les Français. Napoléon avait une politique arrêtée à l’égard des Français qui portent les armes contre la patrie. M. de Saint Simon fut arrêté et condamné à mort par une commission militaire. L’empereur ne pouvait avoir aucun sentiment de haine envers un homme qu’il ne connaissait point et qui n’était pas au nombre des personnages dangereux. La politique seule avait marqué la victime.
M. de Saint-Simon avait une fille qui adoucissait son exil et les peines de sa vieillesse par les soins les plus tendres. Les dangers de son père l’amenèrent aux pieds de Napoléon. Tout se disposait pour le supplice; le dévouement de cette pieuse fille l’emporta contre un parti pris qui semblait irrévocable, car il était appuyé non sur les passions, mais sur la raison et sur le souvenir de Saint-Jean-d’Acre.
Ce bel acte de clémence fut facilité par le major général et les généraux Sebastiani et Laubardière. Toute l’armée trouvait la guerre d’Espagne injuste; à cette époque elle n’était pas encore irritée par de nombreux actes de traîtrise[100]
. À la retraite d’Oporto, en 1809, un hôpital français très nombreux fut massacré avec des circonstances horribles. À Coïmbre, plusieurs milliers de malades et de blessés finirent de même d’une manière trop atroce pour être rapportée. Ailleurs, on noyait de sang-froid dans le Minho sept cents prisonniers français. Il y a des centaines d’anecdotes de ce genre et qui compromettent des gens qu’on a encore la bonté d’admirer. À mesure que ces atrocités irritaient l’armée française, elle devint cruelle, mais jamais dans la forme. On fusillait ou on faisait pendre ce qu’on appelait des rebelles.Au milieu de sa campagne d’Espagne, Napoléon apprit que l’Autriche, qui armait depuis longtemps, était sur le point d’attaquer. Il fallait confier à des lieutenants l’Espagne ou la France et l’Italie. Il ne put pas hésiter; ce fut une faute forcée, mais, de ce moment, l’Espagne fut perdue. Tout languit à l’armée, qui n’était plus la Grande Armée, qui n’était plus sanctifiée par la présence immédiate du despote. De ce moment, on eut beau faire de grandes actions, il n’y eut plus ni avancement, ni récompense pour l’armée d’Espagne.
Pour achever de rendre la position insoutenable, la division très marquée entre Joseph et Napoléon s’aigrit de plus en plus. Elle avait d’abord eu deux principes: le délaissement dans lequel Napoléon laissait Joseph et l’insolence des maréchaux à son égard; deuxièmement, les nouveaux projets de Napoléon sur l’Espagne.
Joseph prétendait que, puisqu’on l’avait fait roi, il fallait qu’il parût l’être, que le reléguer à la queue de l’armée n’était pas le préparer à paraître à la tête de la nation, que plus elle était fière, plus elle devait vouloir que son chef fût honoré. Louis XIV, qui s’entendait en vanité n’eût pas commis cette faute.
Tout l’argent qu’on avait rapporté de Prusse, environ cent millions, ne paraissait pas devoir suffire à la guerre d’Espagne. Napoléon, accoutumé à nourrir la guerre par la guerre, ne s’accoutumait pas à porter son argent en Espagne. Il voulait que Joseph payât la guerre; l’Espagne y aurait suffi à peine en temps de paix. C’était le dernier degré de l’absurde, au moment où les troupes françaises n’étaient exactement maîtresses que du terrain qu’elles occupaient militairement et qu’elles épuisaient à fond.