Une petite commune de campagne voulut, en 1811, employer pour 60 francs de mauvais pavés rejetés par l’ingénieur chargé de la grande route. Il fallut quatorze décisions du préfet, du sous-préfet, de l’ingénieur et du ministre. Après des peines incroyables et une extrême activité, l’autorisation nécessaire arriva enfin, onze mois après la demande, et les mauvais pavés se trouvèrent avoir été employés par les ouvriers pour remplir quelque trou de la route. Un commis, nécessairement ignorant, entretenu à grands frais dans un coin d’un ministère, décidait, à Paris et à deux cents lieues de la commune, une affaire que trois délégués du village auraient arrangée au mieux et en deux heures. On ne pouvait ignorer un fait si palpable et qui se produisait cinq cents fois par jour.
Mais la première affaire était d’abaisser le citoyen, et surtout de l’empêcher de délibérer, habitude abominable que les Français avaient contractée dans les temps du jacobinisme[104]
. Sans ces précautions jalouses, aurait pu reparaître cet autre monstre abhorré par tous les gouvernements successifs qui ont exploité la France, et dont j’ai déjà parlé, je veux direOn voit d’où venait l’énorme travail qui tuait les ministres de l’empereur. Paris voulait se charger de
Or l’existence du commis tend nécessairement à l’hébéter. Sa première affaire lorsqu’il débute dans un bureau est d’avoir une belle main et de savoir employer la sandaraque. Tout le reste de sa carrière tend à lui faire employer continuellement la forme pour le fond. S’il réussit à accrocher un certain air important, rien ne lui manque. Tous ses intérêts le portent à favoriser l’homme qui parle sans avoir vu. Témoin et victime des plus misérables intrigues, le commis réunit les vices des cours à toutes les mauvaises habitudes de la misère dans laquelle il végète les deux tiers de sa vie. Voilà les gens à qui l’empereur jeta la France; mais il pouvait les mépriser. L’empereur voulait faire administrer la France par des commis à 1.200 francs d’appointements. Le commis faisait le projet, et l’orgueil du ministre le faisait passer.
Une chose qui peint l’époque, ce sont les comptes du marchand de papier de chaque ministère; cela va à l’incroyable. Ce qui l’est autant pour le moins, c’est la quantité de travail inutile et nécessairement mauvais, que faisaient ces malheureux ministres et ces pauvres préfets. Par exemple, une des grandes affaires de ceux-ci était d’écrire, de leur propre main, tous les rapports, même les différentes copies du même rapport, pour les divers ministères; et, plus ils travaillaient ainsi, plus le département dépérissait. Le département qui allait le mieux en France, était celui de Mayence qui avait pour préfet Jean Debry, qui se moquait ouvertement de la bureaucratie ministérielle.
Chapitre XLVII
Suite
Quel était donc le mérite de cette administration impériale si regrettée en France, et par la Belgique, le Piémont, les États de Rome et de Florence?
C’étaient des règles générales et des décrets organiques dictés par la plus saine raison. C’était l’entière extirpation de tous les abus accumulés dans l’administration de chaque pays par deux ou trois siècles d’aristocratie et de pouvoir astucieux. Les règles générales de l’administration française ne protégeaient que deux choses: le travail et la propriété. Cela a suffi pour faire adorer ce régime. D’ailleurs, la décision ministérielle qui arrivait de Paris après six mois, si elle était souvent ridicule par l’ignorance des données, était toujours impartiale. Et il y a tel pays que je ne nommerai pas, où le moindre juge de paix ne peut pas envoyer une citation sans commettre une criante injustice au profit du riche contre le pauvre[106]
. Ce régime n’a été interrompu que pendant l’apparition du gouvernement fronçais. Tout homme qui voulait travailler était sûr de faire fortune. Il se présentait en foule des acheteurs pour tous les objets. La justice et le travail, mis en honneur, faisaient pardonner la conscription et les droits réunis.Le Conseil d’État de l’empereur sentait bien que le seul système raisonnable était que chaque département payât son préfet, son clergé, ses juges, ses routes départementales et communales et qu’on n’envoyât à Paris que ce qu’il fallait pour le souverain, les armées, les ministres, et enfin les dépenses générales[107]
.