Un autre ministre tomba de sommeil appuyé sur son papier pendant que l’empereur lui parlait, et ne se réveilla qu’au bout d’un quart d’heure toujours parlant à Sa Majesté et lui répondant; et c’était une des meilleures têtes.
La faveur des ministres avait des phases d’un mois ou six semaines. Quand un de ces pauvres gens voyait qu’il ne plaisait plus au maître, il redoublait de travail, devenait jaune et redoublait de complaisance envers le duc de Bassano. Tout à coup et à l’improviste, leur faveur revenait; leurs femmes étaient invitées au cercle et ils étaient ivres de joie. Cette vie tuait, mais n’admettait pas l’ennui. Les mois passaient comme des journées.
Quand l’empereur était content d’eux, il leur envoyait une dotation de dix mille livres de rente. Un jour, s’étant aperçu de quelque lourde sottise que lui avait fait faire le duc de Massa, il le renversa avec sa robe rouge sur un canapé et lui donna quelques coups de poing; honteux de cette vivacité, il lui envoya soixante mille francs le lendemain. J’ai vu un de ses généraux les plus braves (le comte Curial), soutenir qu’un soufflet de l’empereur ne déshonorait pas, que ce n’était qu’une simple marque de mécontentement du chef de la France. Cela est vrai, mais il faut être bien libre de préjugés. Une autrefois, l’empereur donna des coups de pincettes au prince de Neuchâtel.
Le duc d’Otrante, le seul homme d’un esprit vraiment supérieur qui fût parmi les ministres, s’était exempté de l’énorme travail de plume par lequel les autres ministres cherchaient la faveur du maître. Bénévent n’a été que
En 1810, la voix publique désignait à l’empereur MM. Talleyrand, Fouché, Merlin pour la justice, Soult pour major-général, Carnot ou le maréchal Davoust pour la guerre, Daru pour les dépenses et marchés de la guerre, Chaptal pour l’intérieur, Mollien et Gaudin pour les finances, Réal pour la secrétairerie de l’État, Bérenger, Français, Montalivet, Thibaudeau pour les directions; Le Voyer d’Argenson, Lezay-Marnezia, le comte de Lobau, MM. Lafayette, Say, Merlin de Thionville pour le Conseil d’État. On voit qu’il a suivi cette indication en partie. Cependant il y avait dans son ministère quatre ou cinq hommes d’une telle infériorité, que les souffrir là marque bien sa haine pour les talents. C’eût été bien pis dans quelques années. Les gens qui avaient acquis dans la Révolution la véritable expérience des affaires allaient se dégoûter ou s’éteindre, et les jeunes gens qui les auraient remplacés, ne cherchaient qu’à faire assaut de servilité. Être bien reçu de M. le duc de Bassano était le suprême bonheur. Voulait-on se perdre à jamais dans la cour de ce duc, il fallait montrer de la pensée. Ses favoris étaient des gens accusés de ne pas savoir lire.
Chapitre L
La Légion d’Honneur
Comment donc la France marchait-t-elle avec des ministres qui suivaient une route si absurde? La France marchait par l’extrême émulation que Napoléon avait inspirée à tous les rangs de la société. La gloire était la vraie législation des Français. Partout où il se montrait, et il parcourait sans cesse son vaste empire, si le vrai mérite pouvait percer le rempart de ses ministres et de ses chambellans, il était sûr d’une immense récompense. Le moindre garçon pharmacien travaillant dans l’arrière-boutique de son maître, était agité de l’idée que s’il faisait une grande découverte, il aurait la croix et serait fait comte.