[Sept lignes illisibles.]
Lœllo se détacha du groupe, un corps inerte dans les bras. Abzalon sut immédiatement, aux éclats tragiques des yeux du Xartien, au désespoir qui lui plissait le front et lui tordait la bouche, qu’il portait le cadavre de son fils. Tout autour d’eux, des deks maculés de sang les observaient en silence. La semi-obscurité qui baignait la place accentuait l’aspect dramatique de la scène. La bataille avait fait rage aux niveaux douze et treize, des corps jonchaient par dizaines le plancher des coursives. Abzalon n’avait pas rencontré de difficultés particulières pour franchir les niveaux intermédiaires. Les rares silhouettes qu’il avait croisées s’étaient enfuies aussitôt qu’elles l’avaient aperçu.
« Ces ordures ont tué Laslo », gémit Lœllo.
Il leva le corps à hauteur du visage d’Abzalon, qui distingua une entaille béante sur le cou du garçon.
« Ils l’ont égorgé comme un yonak. »
Abzalon se rendit compte que Lœllo était sur le point de défaillir et prit le cadavre de Laslo dans ses mains. Il fut bouleversé par l’expression à la fois soulagée et horrifiée du garçon, par son extrême légèreté également, et il ressentit comme la sienne propre la douleur immense du Xartien.
« Je suis un fzal, Ab, un maudit, balbutia Lœllo. J’ai fait le malheur de ma mère et de mes sœurs, je fais maintenant celui de ma femme et de mes enfants.
— Tu peux rien te reprocher », protesta Abzalon, la gorge serrée.
Lœllo secoua la tête à plusieurs reprises, détachant les larmes qui roulaient sur ses joues.
« J’ai pas écouté Clairia, j’voulais que mon fils soit… »
Le reste de sa phrase se perdit dans les sanglots.
« Où sont ceux qui ont fait ça ? demanda Abzalon.
— Il en reste une trentaine là-haut, répondit un dek. Ils ont piqué presque tous les plateaux-repas et se sont barricadés au niveau vingt.
— Combien sommes-nous ?
— Environ vingt à vouloir encore se battre… »
Lœllo balaya ses joues d’un revers de manche énergique.
« Tu vas pas trahir ton serment à cause de moi, Ab.
— J’t’ai jamais parlé de ça…
— Ellula l’a fait à ta place. Elle voulait pas que tu sois mêlé à nos histoires.
— Vos histoires sont aussi les miennes : j’peux pas laisser ma femme et ma fille mourir de faim. Et puis, mon serment, je l’ai déjà trahi. »