Les visages se tournèrent à l’unisson vers le moncle Artien. Lui avait été brutalement frappé par la vieillesse, son visage et son crâne s’étaient creusés de rides profondes, ses yeux s’étaient éclaircis, des taches brunes avaient fleuri sur ses mains. Juste avant l’arrivée de Lœllo, il avait expliqué aux autres, qui s’étonnaient de sa brusque transformation, qu’il n’avait plus accès à son eau d’immortalité depuis son installation chez les deks et qu’il avait simplement été rattrapé par son âge biologique, beaucoup plus avancé qu’ils ne le supposaient.
« Le moncle Gardy a emporté dans ses bagages un microlaboratoire de clonage, poursuivit-il. Et probablement des cellules d’embryons de différentes espèces animales. Je crois que nous tenons là l’explication de la mort du jeune moncle que vous aviez découvert dans la coursive lors de votre premier passage. Ce vieux fou avait sans doute procédé à un essai.
— Allons lui rendre une visite ! rugit Lœllo.
— Y a mieux à faire, objecta Abzalon. On lui réglera son compte plus tard. Faut d’abord distribuer aux autres toutes les combinaisons spatiales disponibles. Elles sont étanches.
— Leur réserve d’oxygène n’est pas éternelle.
— Ça nous laissera le temps d’éliminer un maximum de serpensecs.
— Ces saloperies se reproduisent comme les zihotes ! À quoi bon en tuer deux ou trois pendant que les autres se multiplient par dizaines ?
— Ce ne sont pas des insectes mais des reptiles, précisa le moncle Artien. Les femelles ne pondent que cinq ou six œufs lors de la période de fécondation. Il se peut de surcroît qu’ils souffrent d’insuffisances génétiques, comme les êtres humains issus du clonage.
— Ce qui veut dire ?
— Qu’ils ne peuvent peut-être pas se reproduire. En revanche, leur espérance de vie est très longue pour des reptiles de cette taille, vingt ans d’après mes souvenirs. Autre chose : comme tous les animaux à sang froid, ils recherchent probablement les sources de chaleur. »
Le regard de Lœllo s’échoua sur Sveln, assise au bout de la table. À en juger par les éclats sombres de ses yeux, par le désordre de sa chevelure, elle ne parvenait pas à surmonter l’épreuve de la mort d’Orgal. Il ressentit de la compassion pour elle : Clairia et lui-même n’avaient pas encore réussi à s’habituer à la disparition de Laslo. Il lui arrivait souvent de pleurer en repensant à son fils.
« Admettons qu’ils ne se reproduisent pas, concéda le Xartien. Mais comment exterminer des bestioles qui sont pratiquement impossibles à repérer ?
— Je connaissais à Dœq un gars, un fumé, qui n’avait pas besoin de voir ses adversaires pour les détecter, lança Abzalon.
— Mon antenne, hein ? Ça fait un bon bout de temps que j’l’ai remisée au placard…
— Parce que t’en avais pas besoin. Le moment est venu de la ressortir. Comme à Dœq.
— C’est si loin, Ab, et ces foutus serpents sont si petits…
— Je te demande seulement d’essayer. »
Lœllo leva sur Abzalon, debout au milieu de la pièce, un regard à la fois ému et perplexe.
« En souvenir du bon vieux temps, c’est ça ?
— Seulement parce que le présent l’exige, Lœllo. »
Le Xartien marqua un temps de pause, les yeux toujours rivés sur son ancien compagnon de captivité.
« Avec quoi est-ce qu’on va les flinguer ? T’as balancé le foudroyeur des moncles dans la cuve du troisième passage.
— À l’époque, valait mieux ! s’exclama Abzalon avec un large sourire. Mais aujourd’hui, il peut nous rendre un fier service. »
Il se rendit près de la couchette, glissa les mains sous la couverture, en retira un objet oblong et métallique que Lœllo identifia du premier coup d’œil.
« Bordel de merde, t’as été le repêcher dans la cuve ?
— Pas moi, elle, dit Abzalon en pointant le canon du foudroyeur sur Djema. Elle va s’y baigner presque tous les jours.
— Impossible ! Cette eau est encore plus chaude que l’océan bouillant… » Il s’interrompit, contempla Djema d’un air soupçonneux. « Eh, mais Pœz est toujours fourré avec toi !
— C’est même lui qui a plongé le premier, confirma Djema. Il ne t’en a jamais parlé ?
— Il ne voulait pas t’affoler », intervint Ellula.
Une moue irritée étira les lèvres de Lœllo, puis il haussa les épaules et désigna le foudroyeur.
« Il est encore en état de marche ?
— Comme au premier jour ! s’exclama Abzalon. Matériel de première qualité. L’Église n’a pas fait les choses à moitié.
— L’Église ne fait jamais les choses à moitié, murmura le moncle Artien. C’est là son grand défaut.
— J’avoue que j’avais pas pensé aux combinaisons, fit Lœllo. C’est pourtant une sacrée bonne idée. On commence la distribution ? »