Ellula s’essuya le front d’un revers de main, lança un coup d’œil par-dessus son épaule, aperçut la silhouette immobile d’Eshan Peskeur dans l’allée centrale de l’étable, vêtu d’une chemise grise ouverte sur son torse frêle, d’un pantalon noir et de sandales de cuir.
« Je trouve tout à fait naturel de participer aux travaux du domaine », dit-elle en recommençant à presser les tettes, tellement troublée qu’elle ne s’apercevait pas qu’elle ne tirait plus une seule goutte de lait du pis crevassé.
Eshan s’avança et flatta de la main le flanc de la yonaka.
« Rijna a fait le même coup aux trois autres épouses. Kephta, ma mère, m’a raconté qu’elle l’a obligée à nettoyer la maison de fond en comble pendant une quinzaine de jours. Je suppose que c’est sa manière de souhaiter la bienvenue aux nouvelles… »
Ellula devina que les yeux du jeune homme s’égaraient sur ses cuisses découvertes, mais le seau coincé entre ses genoux l’empêchait de rabattre sa robe.
« Les brimades ne s’arrêteront pas après la cérémonie, poursuivit Eshan. Vous devrez vous imposer dans… dans le lit de mon père. Il ne manifeste guère ses émotions, mais j’ai cru m’apercevoir qu’il ne restait pas indifférent à votre beauté. À sa place, je ne permettrais pas à une vieille femme acariâtre de vous enfermer dans une étable, j’aurais pour vous tous les égards, j’ordonnerais à chaque femme, à chaque homme de ce domaine de satisfaire toutes vos exigences. On ne reçoit pas la déesse Ellula comme un ventre-sec. »
Sa voix s’était gonflée de dépit lorsqu’il avait prononcé ces derniers mots. En dépit de la moiteur ambiante, Ellula percevait sur sa nuque le souffle brûlant de sa colère. Le souffle de son désir également, qui éveillait dans son corps des frémissements inconnus. Elle avait cessé de traire mais elle restait agrippée aux tettes comme à une rambarde dressée au bord d’un précipice.
« Ma déesse, gémit-il. Pourquoi l’ordre cosmique t’a-t-il expédiée dans les bras de mon père ? »