[Interruption de la communication pendant une vingtaine de secondes.]
« J’avais raison ! s’exclama Elaïm. Ça ressemblait foutrement à un local technique. La porte d’entrée se trouve sans doute dans une coursive surveillée par les RS. »
Abzalon avait éventré la cloison à l’aide d’une barre de fer qu’il avait ramassée dans une coursive et dont il s’était servi comme d’une masse. Par la brèche, les quatre hommes s’étaient introduits dans une pièce éclairée par une double rangée de veilleuses. Elaïm s’avança prudemment vers les rayonnages, s’immobilisant à chaque pas afin de prévenir l’éventuelle agression d’un RS. Depuis qu’ils s’étaient aventurés hors de leurs quartiers, ils avaient essuyé de nombreux tirs de la part des robots sentinelles, moins volumineux et plus mobiles que ceux du pénitencier. Certains d’entre eux surgissaient du plafond, fondaient sur eux avec une rapidité de rapace et les ajustaient sans leur laisser le temps de réagir. Fort heureusement, leurs rayons n’étaient pas mortels mais paralysants. Touché à trois reprises, Abzalon avait eu à chaque fois besoin de deux jours pour recouvrer ses fonctions motrices, de trois pour sortir de sa torpeur et de quatre pour se débarrasser d’une nausée latente. Il avait très mal supporté cette impotence provisoire, cette sensation de dépendre entièrement de ses compagnons de cabine, cette crainte chevillée au corps qu’un dingue ne profite de son immobilité forcée pour l’étrangler ou l’étouffer avec son oreiller. Il déployait désormais une prudence d’aro sauvage, laissant volontiers l’initiative à d’autres, à Elaïm en particulier, un ancien pilote de navette estersat qui avait été condamné à la perpétuité pour avoir provoqué, sur l’astroport de Vrana, un accident au cours duquel trois cents passagers avaient trouvé la mort. Aussi, lorsqu’il avait défoncé la cloison quelques secondes plus tôt, Abzalon s’était immédiatement jeté en arrière de peur d’être frappé par un rayon.
Le grondement du vaisseau faisait trembler le plancher sous leurs pieds et leur donnait l’impression qu’un monstre avait élu domicile à quelques pas de là. Ils savaient que ce n’était que le rugissement d’un moteur dix mille fois plus puissant que celui d’une navette, mais le bruit était tellement terrifiant que
« Jolie grenouillère spatiale ! »
Elaïm était un homme de soixante ans aux cheveux blonds qu’il taillait régulièrement avec l’un de ces petits couteaux en plastique qui leur servaient à couper la viande et faisaient pour tout le monde office de rasoirs. Sa haute taille, ses larges épaules, son visage buriné, sa voix grave, ses yeux d’un bleu glacial maintenaient une certaine distance entre ses interlocuteurs et lui. Il savait se montrer intraitable, ou il n’aurait pas survécu à ses six ans de détention dans l’enfer de Dœq, mais ceux qui allaient au-delà des apparences découvraient un homme chaleureux, enjoué, parfois vantard.