Читаем Berlin Requiem полностью

Rammelt hausse les épaules, ces manières de chichis politiques l’ennuient.

— On ne risque rien, nous autres, marmonne Bastiaan. Hitler a dit que l’art est le seul placement vraiment impérissable du travail et de l’effort de l’homme. On est ses chouchous.

— Alors, si les nazis restent au pouvoir, on va jouer du Beethoven, du Mozart et du Bruckner jusqu’à la fin de notre vie. C’est tout ce qu’ils connaissent de l’art.

— On a aussi joué l’hymne olympique… Même que c’était Richard Strauss, notre gloire nationale qui dirigeait.

Bastiaan ne peut se retenir de rire.

— Alors, à la santé de nos gloires nationales.

Chaque membre de l’orchestre a reçu une décoration pour avoir participé à l’ouverture des Jeux. La sienne, Bastiaan l’a foutue au fond d’un tiroir. Il est écrit, dans un beau bronze aux reflets bruns :

Pour un travail méritoire aux jeux Olympiques

Lors du congrès de Nuremberg, Hans Rammelt a été impressionné par la foule venue acclamer l’orchestre et les dignitaires nazis. Les femmes jetaient des fleurs en l’air dans les rues de Nuremberg. Il n’aime pas trop la foule parce que ça met dans les tripes de drôles de sensations, parce que ça vibre trop, et mal. Rammelt est un type rangé, sans histoires. Ses journées commencent à 7 heures, quand ses premiers élèves arrivent chez lui. Invariablement, à 9 heures, il enfourche son vélo, violon en bandoulière et fonce à la Philharmonie. La répétition dure jusqu’à midi. Pendant l’heure de pause, il revient à la maison, sa femme, Olga, lui a préparé un en-cas. D’autres élèves arrivent. Puis retour à la Philharmonie. Pas question d’être en retard. Surtout si c’est Furtwängler qui dirige. Il peut se mettre dans des colères atroces pour quelques minutes d’absence. Bastiaan en a fait les frais.

— Je n’ai plus aucun élève juif, dit Hans Rammelt. C’est fini. Je ne sais même pas ce qu’ils sont devenus.

Dans l’après-midi, Furtwängler est revenu. Des machinistes ont décroché le portrait de Hitler pour le transporter dans une autre salle. Il a bien dû encore négocier quelque chose en échange. Avec les nazis, c’est le marchandage perpétuel.

— Messieurs, dit Furtwängler en tapotant de sa baguette la partition, reprenons à la mesure où l’on s’est arrêté ce matin.

Les violons montent dans un mouvement ample qui semble venir du lointain. Le chef arrête immédiatement en secouant la tête. Il tourne une page de la partition et semble y chercher quelque chose, le visage fermé.

— Le crescendo vient au milieu de la mesure et non pas au début. Vous l’avez tous fait au début. Il ne faut pas trop exagérer. Plus de mélancolie.

Furtwängler hésite, sa voix est éraillée. La colère est encore en lui. Il se passe la main sur le menton, son regard hésite puis il ferme les yeux.

— Reprenons.


En 1936, à l’occasion du congrès du parti NSDAP, Buchholz note dans son journal :

Nous sommes arrivés à Nuremberg à 15 h 30. Toute la ville est décorée pour une grande fête. Des foules de gens sont massées dans les rues, dans une attente fébrile. Il y a des milliers de personnes.

Nous sommes émus de voir que, malgré le mauvais temps, tous ces hommes, ces femmes et ces enfants participaient à cette grande fête pour voir le Führer, ne serait-ce qu’un seul instant.

Le Führer arrive au milieu de la liesse. Il monte sur l’estrade avec solennité. Avec la cordialité captivante propre à sa personnalité. Il nous salue, nous qui nous sommes levés. Nous sentons la grandeur de cet instant.

Voilà que le Führer parle, il se tient parmi nous. À quelques mètres de moi. Il dit :

« L’art est le seul placement vraiment impérissable du travail et de l’effort de l’homme. »

Le 16 septembre, le professeur de la classe de Rodolphe faisait un cours sur le congrès de 1936.

— Savez-vous pourquoi ce huitième congrès a été baptisé « Congrès pour l’honneur » ?

Rodolphe avait levé le doigt, l’instituteur lui avait donné la parole :

— Parce que notre bien-aimé Führer a voulu que notre pays occupe à nouveau la Rhénanie. Il a lavé l’affront de la défaite de 1918. De tout temps, ces terres ont toujours été allemandes et doivent le rester.

— C’est très bien Rodolphe. Tu peux te rasseoir.

Deuxième partie

La maison des morts

Перейти на страницу:

Похожие книги