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La gare centrale de Vienne est pavoisée de croix gammées. Un crieur de journaux annonce une énième victoire des armées du Führer alors que tout le Reich est ouvert aux quatre vents. Les armées marchent sur Berlin en lambeaux. Les rouges arrivent au galop, c’est une question de mois, peut-être de semaines.

Furtwängler et Knapp descendent à l’Impérial, à deux pas de l’opéra. Une deuxième maison pour le maestro. On l’accueille avec la chaleur des habitudes, un sourire, quelques croissants et un café long.

— Comment ça va, à Berlin ? demande le maître d’hôtel.

— Comme dans l’antichambre de l’enfer.

Les deux flics ont dû filer vers un poste d’observation, quelque part, derrière l’une des fenêtres d’en face. À l’affût, patients et tendus, invisibles. Ils reviendront après la série de concert. On n’emballe pas un symbole comme un vulgaire opposant.


Le 5 février 1945, à 6 heures, deux officiers de la Gestapo pénètrent dans l’Imperial. Ils demandent à voir Wilhelm Furtwängler.

— Le chef d’orchestre ? s’étonne le réceptionniste.

— Oui…

— Il est parti très tôt ce matin.

28

— Hommes de la milice de Berlin, vous venez de prêter serment au Führer ainsi qu’à l’avenir social de notre peuple, pour prouver que l’Allemagne dispose de millions d’hommes destinés à se battre !

Goebbels parle à la Volkssturm. Il a revêtu son uniforme noir et la casquette brodée d’argent qui sera toujours trop grande pour son visage d’oiseau. Blême, il jette un dernier regard au millier d’hommes armés à la va-vite. Des vieux, des demi-infirmes, des réformés, des sans uniforme, beaucoup de voyous. La Wehrmacht n’a pas voulu d’eux, ils crèveront dans un dernier baroud. Parce que, en face, l’Armée rouge les attend, le corps de bataille des bolcheviks qui vient de traverser la Pologne et qui a libéré les camps de la mort. Pas de quartier. Tous les Allemands le savent.

Bastiaan croise de plus en plus de ces miliciens en uniforme. Il passe des contrôles, profil bas. Ils pourraient l’appeler, lui aussi, au train où va la guerre.

— Furtwängler s’est enfui, dit Rammelt.

— Qui t’a dit ça ?

— Un proche de Speer, notre nouveau patron.

— Il risquait sa vie, murmure Bastiaan en hochant la tête.

— Il sera resté jusqu’au bout. On dit qu’il a fait partie du complot contre Hitler.

Bastiaan fait une moue dubitative. Douze ans de dictature enseignent l’instinct du silence. Sa tristesse profonde, il ne sait pas la dissimuler. Elle se lit sur ses traits immédiatement. Toute sa carrière aux côtés de Furtwängler l’a transformé. Rammelt demande :

— Tu te souviens quand tu lui as offert un paquet de café ?

— Furtwängler m’a chaleureusement remercié, mais il ne savait pas trop quoi en faire. C’est ma femme qui l’a torréfié, tu sais. Avec une poêle, dans notre cuisine. Ça se sentait dans tout le quartier.

Tous les membres du Philharmonique avait ramené des kilos de café d’une tournée au Portugal, ça devait bien faire la tonne, tout mis bout à bout. Même Knappertsbusch en avait bourré ses grosses valises. Le convoi de café, de violons et de contrebasses, de trompettes et de tout le fourbi de l’orchestre a traversé la France sous les bombes. Pas question de faire une halte. La Résistance française faisait sauter les ponts, chaque kilomètre était devenu une chance. Une fois à Berlin, pas mal de musiciens ont revendu le café au marché noir, pour des fortunes. Un troc de rien pour survivre à la faim qui rampe partout. Des grains de moka contre du lait ou du beurre. Philharmonie ou pas, tout le monde a le ventre vide.

— Regarde-moi ça, dit Rammelt dans sa barbe. Ils n’ont pas encore compris que c’est fichu. Les pauvres.

Bastiaan lève les yeux. Par-dessus les décombres, sur les tas de ruines, beaucoup de Berlinois y vont de leur petit drapeau à croix gammée, d’une bougie ou d’une image du Führer. Dans Friedrichstrasse, en face de la maison de Rodolphe Meister, monsieur Todt et sa femme, ceux qui donnaient des bonbons au fils de Christa, ont pavoisé leur balcon. Ils ont suspendu une pancarte :

Nos murs sont brisés

Mais pas nos cœurs !

Partout, sur les murs encore debout, des affiches :

Maintenant plus que jamais !

Battez-vous jusqu’à la victoire

Bastiaan ne sait quoi répondre. Les drapeaux font de petites taches rouges sur les monticules calcinés des effondrements. Les musiciens marchent, les yeux sur leurs souliers, l’étui de violon et la honte serrés contre eux. Bastiaan est un émotif, plus que Rammelt. La misère le touche en plein cœur. De l’autre côté de la rue, une grande affiche en gothique est accrochée à un reste d’immeuble :

Führer, commande, nous te suivrons !

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