Читаем Berlin Requiem полностью

Bastiaan et Rammelt sont bien habillés, costume impeccable et cravate. Les instruments qu’ils transportent valent des fortunes. Bastiaan a un bel italien, un Pietro Guarneri, pas un del Gesù mais c’est déjà considérable. Un prêt d’une banque de l’État. Il a choisi comme il le souhaitait, croyant que les violons posés sur la table étaient la propriété du Reich. Il a appris, quelques jours plus tôt, que l’instrument appartenait à une famille juive de Vienne.

— Jusqu’où allons-nous être aveugles ? a demandé Rammelt.

En apercevant un couple d’habitués des concerts, Bastiaan songe que leur fils doit se trouver au front. Lui, il a un certificat qui émane de la plus haute autorité. Pas d’armée, pas de champ de bataille à l’est, où les vies sont passées au tranchoir. Un privilège et une deuxième honte.

— Cette époque est folle, se désole Rammelt. Tout s’écroule, et nous on fait notre travail comme si de rien n’était. Pour faire croire que tout va bien. C’est grotesque.

Lors de la dernière répétition, il manquait un altiste. Furtwängler en a été informé. Il est entré dans une colère noire. Il a dit au régisseur :

— Occupez-vous de cette histoire. C’est un scandale !

L’altiste venait d’être arrêté par la milice. Il n’avait pas sur lui son laisser-vivre spécial, oublié à la maison. Étourdi. Quelques jours plus tard, il a été tué par les Russes.

— On veut continuer à vivre, plaide Bastiaan, à travers la musique qu’on ne peut pas tuer.

Deux autocars les attendent devant le Titania-Palast, la nouvelle salle de la Philharmonie, un ancien cinéma qui résiste à tout.

— On va au village olympique, dit le régisseur.

— L’hôpital de la Wehrmacht, grogne un trompettiste. Ils n’ont plus de places ailleurs pour mettre les blessés.

La salle qui les attend est peuplée des ombres du front. Des amputés, des aveugles, des trépanés. Ça sent l’éther et le détergent. La mort à laquelle les musiciens ont échappé, les cris et la fureur du front. Les massacres qu’ils tairont pour toujours. Le seul qui peut comprendre, c’est Hartmann le vétéran, le blessé du front de l’Est. Il est tendu en s’asseyant dans le bus.

Dans l’autocar, les musiciens parlent entre eux.

— C’est bien de montrer que, malgré tout, on continue à faire de la musique, dit Buchholz.

— On veut que les gens fassent une autre expérience que celle qu’ils ont vécue, déclare Rudolf sans trop y croire.

Arrivé sur la scène, Bastiaan se sent très mal à l’aise en ouvrant son étui. Face à lui, que des jeunes ou presque. Un estropié, le crâne enturbanné dans un gros pansement, le fixe étrangement. Le violoniste détourne les yeux et met du temps à comprendre que celui qui le dévisage est aveugle. Ses yeux donnent l’impression de couler, ils ont dû être brûlés.


Le Philharmonique a donné son dernier concert le 16 mars 1945. La salle de l’Admiralspalast affichait complet. Jusqu’au bout, le public est venu. Malgré les bombes, même les jours les plus durs, quand Berlin tremblait au point que les lustres de la salle faisaient d’effroyables cliquetis.

Les musiciens se sont séparés le jour même, entre deux alertes, comme on le fait après un enterrement, la mine contrite, en essayant un sourire d’au revoir, sans conviction. On ne sait plus quand on se reverra.

Bastiaan est rentré chez lui, dans la nouvelle maison que la direction de l’orchestre lui a attribuée, à l’écart de Berlin, de ses bombes. Un musicien, c’est sacré, bien plus qu’un vulgaire soldat. Chair à canon, chair à musique.

Demain, les Soviétiques seront là. Bernhard Alt, un violoniste, a dit qu’il se suiciderait s’il ne parvenait pas à fuir, avec Olga, son épouse, et leurs deux filles. Parce qu’on dit partout que les Russes violent les femmes. La famille Alt s’est empoisonnée, avec méthode, le 2 mai. Le père avait mis son uniforme de nazi.

Alfred Krüger, première contrebasse, s’est pendu dans son salon. Lieberum, le bassoniste, s’est tiré une balle dans la tête.

29

1er mai 1945, 21 heures

De Brême, en anglais, les auditeurs de la radiodiffusion allemande sont informés qu’une annonce du gouvernement allemand sera diffusée.

C’est la première fois depuis l’arrivée au pouvoir de Hitler que le terme « gouvernement allemand » est utilisé à la radio. Normalement, toutes les annonces importantes sont faites par le Führer.

De 21 heures à 21 h 30, la radio de Hambourg diffuse Tannhäuser de Wagner et un Concerto pour piano de Carl Maria von Weber.

21 h 40, nouvel avertissement.


Achtung !


Crépuscule des dieux de Wagner.

9 h 43. Voix du présentateur.


Achtung ! Achtung ! La Radiodiffusion allemande va faire une annonce importante du gouvernement allemand pour le peuple allemand.


L’Or du Rhin de Wagner.

9 h 57. Voix du présentateur.


Перейти на страницу:

Похожие книги