« […] L’insurrection du 10 ao^ut, toute diff'erente des pr'ec'edentes, n’a pas 'et'e seulement dirig'ee contre le tr^one. Elle a 'et'e un acte de d'efiance et de menace contre l’Assembl'ee elle-m^eme qui vient d’absoudre le g'en'eral factieux La Fayette et qui a d'esavou'e formellement les p'etitions pour la d'ech'eance. Une situation nouvelle a 'et'e cr'e'ee. Un pouvoir r'evolutionnaire est apparu en face du pouvoir l'egal. La lutte de ces deux pouvoirs emplit les six semaines qui pr'ec`edent la r'eunion de la Convention.
Cette lutte se continuera, apr`es le 20 septembre, dans l’opposition des deux partis qui se disputeront la majorit'e dans la nouvelle assembl'ee. Le parti montagnard sera essentiellement le parti de l’ancienne Commune r'evolutionnaire, tandis que le parti girondin sera form'e des d'eput'es qui avaient si'eg'e au c^ot'e gauche de la L'egislative avant de former le c^ot'e droit de la Convention.
Les deux partis, notons-le tout de suite avant d’y revenir plus en d'etail, sont s'epar'es par des conceptions radicalement diff'erentes sur tous les probl`emes essentiels. Les Girondins, parti de la l'egalit'e, r'epugnent aux mesures exceptionnelles, «r'evolutionnaires », dont la Commune a donn'e l’exemple et que la Montagne recueille dans son h'eritage. Ce sont, dans le domaine 'economique et social : les r'eglementations, les recensements, les r'equisitions, le cours forc'e de l’assignat, bref la limitation de la libert'e commerciale ; dans le domaine politique : la mise en suspicion de tous les adversaires du r'egime, la suspension de la libert'e individuelle, la cr'eation de juridictions exceptionnelles, la concentration du pouvoir par la subordination 'etroite des autorit'es locales, bref la politique du salut public. Programme qui ne sera r'ealis'e pleinement qu’un an plus tard, avec la Terreur, mais qui fut 'ebauch'e et d'efini par la Commune du 10 ao^ut.
L’opposition des programmes traduit une opposition fonci`ere d’int'er^ets et presque une lutte de classes. La Commune et la Montagne, qui en d'erive, repr'esentent les classes populaires (artisans, ouvriers, consommateurs) qui souffrent de la guerre et de ses cons'equences : chert'e de la vie, ch^omage, d'es'equilibre des salaires. L’Assembl'ee et la Gironde, son h'eriti`ere, repr'esentent la bourgeoisie commercante et poss'edante qui entend d'efendre ses propri'et'es contre les limitations, les entraves, les confiscations dont elle se sent menac'ee. Lutte dramatique qui rev^et toutes les formes et qu’il faut suivre dans le d'etail pour en saisir toute la complexit'e.
Le tr^one renvers'e, les difficult'es commencaient pour les vainqueurs. Il leur fallait faire accepter le fait accompli par la France et par l’arm'ee, pr'evenir ou 'ecraser les r'esistances possibles, repousser l’invasion qui entamait d'ej`a les fronti`eres, constituer enfin sur les d'ebris de la royaut'e un gouvernement national. Probl`emes ardus qui ne furent pas r'esolus sans d’affreux d'echirements !