Il y a 2000 ans

Oui... - continua Calpurnia, aprиs une longue pause -, entourй d'une lumiиre diffuse et bleuвtre, j'ai vu Flaminius me tendre ses bras affectueux et compatissants... Dans son regard, j'ai observй la mкme expression de tendresse et dans sa voix, son timbre familier et inoubliable... Il m'a avertie que dans deux jours, je pйnйtrerai les mystиres insondables de la mort, mais cette rйvйlation de ma fin а venir ne pouvait me surprendre... car pour moi... voilа tant d'annйes que je vis un exil de nostalgies et d'ombres... en plus des angoisses constantes d'une maladie longue et йprouvante... la certitude de la mort est une suprкme consolation... Rйconfortйe par les tendres promesses de la vision qui m'augurait ce doux soulagement dans les prochaines heures... j'ai posй la question а l'esprit de Flaminius sur le doute cruel qui me dйchirait depuis tant d'annйes... Il a suffi que je le fasse mentalement pour que la radieuse entitй me dise а voix haute... en hochant la tкte d'un geste dйlicat... comme pour exprimer une infinie et pйnible tristesse : « Calpurnia, tu as doutй au mauvais moment de celle que tu aurais dы aimer... et protйger comme une fille chйrie et affectueuse... car Livia... est une crйature immaculйe et innocente... »

А cet instant... - continua la malade avec difficultй -, quelle n'a pas йtй la douloureuse impression de mon вme... face а la surprise de cette rйponse... je n'ai plus entrevu la vision aimante et consolatrice... comme si subitement j'avais йtй rappelйe aux tristes rйalitйs de la vie quotidienne.

La vieille matrone avait les yeux pleins de larmes, tandis que le sйnateur se livrait en silence aux sanglots de sa dйchirante йmotion.

Ils passиrent ainsi de longues minutes comme pour laisser libre cours aux remords et а la souffrance...

Puis finalement, ce fut encore la valeureuse-patricienne qui rompit le lourd silence, et prenant en tir ses mains maigres et blanches celles de son ami, elle s'exclama :

Publius, c'est le cњur d'une vieille amie qui vous parle avec les vйritйs sereines et tristes de la mort... Croyez-vous pieusement а mes graves rйvйlations ?...

Le sйnateur fit un effort pour sйcher les larmes qui coulaient copieusement de ses yeux et se reprenant, il rйpondit fermement :

Oui, je te crois.

Et qu'allons-nous faire maintenant... pour rйparer nos fautes... face au cњur gйnйreux et juste de ta femme ?...

Il laissa transparaоtre une lueur de tendresse dans ses yeux et passa ses mains inquiиtes sur son front comme s'il avait trouvй une solution presque heureuse, il s'adressa а la malade avec un rayonnement de joie et de tranquillitй sur le visage en disant rйconfortй :

Vous connaissez la grande fкte de l'Йtat qui aura lieu dans quelques jours oщ les sйnateurs qui sont au service de l'Empire depuis plus de vingt ans, seront couronnйs de myrte et de rosйs comme les triomphateurs ?

Oui - rйpondit la matrone -, si bien que j'ai dйjа demandй а mes garзons... malgrй ma mort prochaine... de vous accompagner а cette fкte mйritйe... car vous serez un de ceux qui seront rйcompensйs par nos autoritйs suprкmes...

Ф ma grande amie, personne ne veut envisager votre mort car nous ne pourrions nous passer de la prйcieuse contribution qu'est votre vie ; mais puisque nous parlons de rйparer la grave erreur de mon dйsolant passй, j'attendrai une semaine de plus pour apporter а Livia l'expression de ma reconnaissance, de ma gratitude et de mon profond amour. J'irai а cette fкte qui se rйalisera sous les auspices de Sйnиque qui a tout fait pour dissimuler la mauvaise impression causйe par la conduite cruelle de l'Empereur, son ancien disciple. Aprиs avoir reзu la couronne de la suprкme victoire de ma vie publique, je dйposerai toutes mes dйcorations aux pieds de Livia, en hommage а son existence angoissйe par de poignants sacrifices familiaux... Je m'agenouillerai devant sa silhouette sanctifiйe, j'фterai de mon front l'aurйole de l'Empire et je dйposerai les fleurs symboliques а ses pieds que je baiserai humblement de tout mon repentir et de mes larmes, lui tйmoignant ainsi ma gratitude et mon amour infinis !...

Quelle gйnйreuse idйe, mon fils - s'exclama la patiente йmue -, et je vous demande de le faire... le moment opportun venu. Et а l'instant... oщ vous tйmoignerez а Livia votre amour suprкme... dites-lui de me pardonner... car je pleurerai de joie... en vous voyant tous deux heureux... des ombres tranquilles de mon sйpulcre.

Tous deux laissaient libre cours а leur йmotion en silence.

А un moment donnй, la vieille malade serra les mains de son ami comme pour lui dire un suprкme adieu. Calpurnia le fixa de ses grands yeux clairs qui libйraient un rayonnement mystйrieux et avec des larmes d'une indicible йmotion, elle s'exclama :