D'un coup d'њil, il comprit la situation conjugale de Pline et chercha а substituer son affection auprиs de son йpouse douce et dйvouйe. Il aurait dйsirй lui confier son amour ardent et malheureux, mais il gardait dans son cњur un sublime respect fraternel pour cette femme qui avait confiance en lui comme en un frиre bien-aimй.
Ce fut ainsi qu'entre les phases d'amйlioration de la vieille patiente, Flavia accepta sa compagnie pour se distraire lors de spectacles dans la ville agitйe de l'йpoque.
Cela suffit pour que Saul envenimвt les йvйnements en soupзonnant dans ces expansions innocentes, une liaison bien moins digne qui remplissait son cњur violent et irascible d'une effroyable jalousie.
А la premiиre occasion, il insinua а Pline Sйvйrus toutes ses fausses suspicions et йlabora avec son imagination malsaine des situations et des faits qui ne furent jamais vйrifiйs. Le mari de Flavia йtait de ces hommes capricieux qui, s'accordant un cercle de libertй illimitйe, ne concйdait rien а son йpouse, pas mкme sur le terrain des amitiйs pures et dйsintйressйes. De sorte que
Pline Sйvйrus se mit а accepter les propos de Saul, accordant а ses idйes insensйes le plus grand crйdit en son for intйrieur. Lui qui avait laissй son aimante compagne а l'abandon pendant de longues annйes, lui donnant l'occasion de ressentir les plus tristes amertumes conjugales, se sentit alors rongй d'une вpre et inconcevable jalousie, il se mit а espionner les moindres gestes de son frиre et а douter des pensйes les plus secrиtes de sa femme, en attendant que la maladie incurable de sa mиre trouve une solution dans la mort qu'il prйsumait proche, afin d'imposer plus violemment la revendication de ses droits conjugaux.
L'an 58 commenзait avec ses tristes perspectives pour nos personnages.
Un fait, nйanmoins, commenзait а attirer l'attention de tous les personnages de cette histoire rйelle et douloureuse.
Le dйvouement de Livia pour sa vieille amie malade йtait un exemple rare d'amour fraternel, d'affection et d'une bontй infinie. Huit mois durant, sa silhouette mince et silencieuse йtait prйsente jour et nuit, sans repos, auprиs du lit de Calpurnia, а lui prouver par des exemples l'excellence de ses principes religieux.
Nombre de fois, la noble matrone considйra personnellement la supйrioritй morale de cette doctrine gйnйreuse venue au monde pour relever ceux qui йtaient tombйs, pour consoler les malades et les affligйs, dissйminant les plus belles espйrances parmi les laissйs pour compte. Elle comparait ses anciens dieux qui aimaient les plus riches et ceux qui offraient les plus grands sacrifices aux temples а ce Jйsus humble et pauvre, dйchaussй et crucifiй dont lui parlait Livia dans ses entretiens intimes, pleins d'affection.
Quelques jours avant sa mort Calpurnia йtait complиtement modifiйe. La permanence continuelle de sa vieille amie avait rйnovй toutes ses pensйes et ses croyances les plus solides. Elle traitait mieux les esclaves qui s'approchaient de son lit et elle avait demandй а Livia de lui enseigner les priиres du prophиte crucifiй а Jйrusalem. Toutes deux priaient les mains jointes lorsque les appartements de la malade йtaient silencieux et dйserts. Dans ces instants, la veuve de Flaminius Sйvйrus sentait que ses douleurs s'apaisaient, on aurait dit qu'un doux baume revigorait ses forces ; la pйnible dyspnйe cessait et sa respiration redevenait presque normale, comme si une puissante йnergie du monde invisible rйanimait son cњur sclйrosй et fatiguй.
Pour Publius, ces signes de changement moral de la vieille matrone ne passaient pas inaperзus, ni les nobles actions de son йpouse qui veillait sur elle sans relвche depuis l'instant oщ elle l'avait vue impuissante et йpuisйe. Les souffrances de la vie avaient йgalement beaucoup modifiй la structure de son organisation spirituelle et, plus que jamais, le sйnateur ressentait le besoin de se rйconcilier avec sa femme pour affronter les hivers difficiles de la vieillesse qui approchait.
Non seulement lui, mais aussi Livia, avaient dйjа dйpassй un demi-siиcle d'existence, et а prйsent qu'il connaissait si bien la vie et ses йprouvants mйcanismes de perfectionnement, il se sentait apte а pardonner toutes les fautes du passй de son йpouse, considйrant que ses vingt-cinq ans de martyre moral dans l'ambiance domestique sacro-sainte suffisaient pour racheter les fautes qu'elle aurait peut-кtre commises dans l'illusion de sa jeunesse en terre йtrangиre, comme le supposaient ses fausses observations, њuvre de la calomnie qui avait dйtruit le bonheur et la paix d'une existence toute entiиre.
Aux premiers jours de l'an 58, les souffrances de Calpurnia s'aggravиrent brusquement et laissaient prйvoir а tout instant un triste dйnouement.
Ses fils et ses proches entourиrent son lit, trиs йmus, mкme s'ils savaient combien ce corps malade et йpuisй avait besoin de repos.