Il y a 2000 ans

La pauvre folle parlait toujours comme prise d'une йnergie inйpuisable et incomprйhensible.

Une sueur copieuse inondait son front sous le coup d'une forte fiиvre.

Emilien - criait-elle dйsespйrйment -, oщ est Aurйlia qui n'est pas а mon chevet а la veille de ma mort ? Tout comme les fausses amitiйs de ma vie, aurait-elle, elle aussi, horreur de mon corps ?

Aurйlia - expliqua gйnйreusement l'officier - a dы s'absenter aujourd'hui en raison d'un engagement avec ses amis concernant l'organisation de quelques services sociaux !

Ah ! - s'exclama la dйmente dans un йclat de rire sinistre - les services sociaux... les services sociaux !... Comment peux-tu croire cela, mon fils ? Ta femme, а cette heure, doit кtre aux cфtйs de Pline Sйvйrus, son ancien aimant dans quelque endroit suspect de cette misйrable citй !...

Emilien Lucius fit son possible pour que la malheureuse dйmente ne continue pas ses terribles et impressionnantes rйvйlations, mais Fulvia continuait ses aveux tragiques et consternants :

Non, ne m'empкche pas de continuer... - fit-elle dйsespйrйment. - Ecoute-moi encore !

Toutes mes accusations sont la criminelle rйalitй... Trиs souvent, la vйritй est avec ceux qui ont sombrй dans la dйmence !... C'est moi qui ai induit ma malheureuse fille aux infidйlitйs conjugales... Pline Sйvйrus йtait l'ennemi qu'elle devait vaincre en tant que femme... Je lui al facilitй l'adultиre qui s'est consommй sous ce toit !... Rends-toi compte, mon fils, de l'йnormitй de ma faute !... Sois horrifiй, mais pardonne-moi !...Et surveille ta femme pour qu'elle ne continue pas а te trahir avec ses viles perfidies et pour qu'elle n'en vienne pas un jour а pourrir lamentablement comme moi, dans un lit de soie parfumйe !...

Le gйnйreux militaire suivait bouche bйe et affligй, ces rйvйlations surprenantes.

Alors sa femme, tout en ne le comprenant pas dans son idйalisme, le trahissait aussi honteusement au sein mкme du sacro-saint foyer ? De douloureuses йmotions remplissaient son cњur, mais toutes ces paroles n'йtaient peut-кtre que le fruit d'un simple dйlire fйbrile, d'une dйmence incurable. Un doute horrible et impitoyable йtait venu s'installer dans son cњur angoissй. Quelques larmes coulиrent de ses grands yeux tristes, tandis que la malade faisait une trкve а ses dйsolantes rйvйlations.

Mais quelques minutes plus tard, d'une voix retentissante, elle continua :

Et Aurйlia ? Que fait Aurйlia qui ne vient pas ? Oщ se trouve donc ma- pauvre fille criminelle et infidиle ? Demain, mon garзon, je devrai te confier les infвmes secrets de notre misйrable existence.

Quelqu'un, nйanmoins, pйnйtra dans la piиce contigыe, prudemment et en silence. C'йtait Aurйlia qui revenait d'une fкte bruyante oщ le vin et les plaisirs avaient abondamment coulй.

Aprиs avoir franchi la porte voisine, elle put encore entendre les derniers mots prononcйs par sa mиre, au comble de la fiиvre et d'un dйsespoir maladif. Elle, qui venait juste d'entendre ses tristes rйvйlations, se dit que la malade accomplirait sa terrible promesse le lendemain. Immйdiatement, elle se mit а examiner toutes les possibilitйs afin de mettre а exйcution l'idйe tйnйbreuse qui avait traversй son esprit malheureux et criminel. Ses yeux йtaient vitreux de colиre sous le joug d'une pensйe morbide qui avait subitement effleurй son cњur glacial et impitoyable.

Elle фta ses habits de fкte et se mit а l'aise, puis elle ouvrit une nouvelle porte et se dirigea vers le lit de sa mиre qu'elle caressa sournoisement tandis que son mari incompris la dйvisageait, le cerveau bouillonnant et torturй sous l'emprise des doutes les plus acerbes.

Mиre, que se passe-t-il ? - demanda-t-elle feignant l'inquiйtude. - Tu es fatiguйe... tu dois te reposer un peu.

Fulvia l'a regarda profondйment comme si une lueur de luciditй avait soudain йclairй son esprit abattu. La prйsence de sa fille tranquillisait quelque peu son cњur endolori et sa conscience meurtrie. Elle s'assit avec effort sur le lit, caressa les cheveux de sa fille, comme elle avait toujours l'habitude de le faire dans l'intimitй, puis elle se coucha, semblant mieux disposйe а se dйtendre.

Se disant que sa prйsence n'йtait plus nйcessaire а prйsent, Emilien Lucius se retira, tandis qu'Aurйlia continuait а parler simulant de la tendresse :

Mиre, veux-tu une dose de calmant pour te reposer ?

La pauvre folle, dans son inconscience spirituelle, fit un signe affirmatif de la tкte.

La jeune femme se rendit dans sa chambre et retira un petit tube d'un de ses meubles favoris. Elle laissa tomber quelques gouttes de sйdatif dans un verre en se disant : - « Oui !... un secret reste toujours un secret... et seule la mort peut convenablement le garder !... »

Puis elle se dirigea sans hйsitation vers le lit de sa mиre oщ, depuis plus de deux ans, gisait la malheureuse rongйe par le cancer et tourmentйe par les visions les plus sinistres et les plus tйnйbreuses.