Je redoutais que ce mariage ne me fasse perdre les faveurs du grand public mais au contraire ma cote grimpe encore. Trois jours après la noce, je suis invitée au journal de 20 heures, présenté par le légendaire Chris Petters. Quelle consécration! Chris Petters, l'idole des ménagères de moins de cinquante ans, est le journaliste le plus célèbre depuis l'avènement de sa chaîne d'information américaine en continu qui couvre toute la planète. C'est lui qui dit au monde ce qu'il doit penser de tout ce qui se passe sur les cinq continents. C'est à lui que les tyrans les plus cruels remettent des otages éperdus de reconnaissance après des mois passés dans des caves enchaînés à des radiateurs, car même les tyrans regardent le journal de Chris Petters.
J'arrive au studio avec un peu de retard, conformément à mon nouveau statut de star, et le journaliste est là pour m'accueillir avec son célébrissime sourire. Il affirme que c'est un grand honneur pour lui de recevoir une star telle que moi. Il me dit suivre ma carrière depuis le début et avoir toujours su que j'irais loin.
Dans mon fauteuil, près de lui, je commente les images: la guerre en Tchétchénie (je persiste à me déclarer farouchement contre toutes les guerres), les maladies sexuellement transmissibles (je suis pour la sexualité mais pas au prix de la mort), la pollution (c'est scandaleux tous ces industriels qui polluent), les tremblements de terre (c'est affreux tous ces gens qui meurent parce que les promoteurs n'ont pas construit de maisons assez solides, on devrait les mettre en prison), l'amour (il n'y a rien de plus beau), Richard (c'est le meilleur des hommes, nous sommes très heureux et nous voulons beaucoup d'enfants).
Après l'émission, Chris Petters me dit qu'il souhaiterait avoir mon adresse pour m'envoyer l'enregistrement de l'émission sur une cassette. Le soir même, alors que, fourbue, je m'apprête à profiter d'un bon sommeil, j'entends frapper à ma porte. Comme je vis toujours seule (le mariage avec Richard est plus médiatique que réel), je regarde dans l'œilleton. C'est Chris Petters. J'ouvre.
Il ne sourit plus. Il me pousse en arrière, m'arrache mes vêtements en me traînant vers ma chambre où, brutalement, il me jette sur le lit. En proie à une folle terreur, je le regarde tirer de sa veste un long lacet noir.
Il me tord un bras, me bloque le dos avec son genou d'un geste assuré. Puis il noue le lacet autour de ma gorge et serre. Je suffoque. Ma main libre essaie de lui agripper quelque chose. Mais son genou éloigne mon torse et le rend hors d'atteinte. Je sens pourtant quelque chose de filandreux au bout de mes doigts. Fermement, je tire.
Et… et ses cheveux me restent dans les mains. Ils sont postiches! De se retrouver déplumé décontenance Chris Petters. Il hésite, et tourne les talons. La porte claque.
Incrédule, je contemple la perruque.
Une heure plus tard, je cours porter plainte à la police, accompagnée de Richard que j'ai convoqué d'urgence chez moi. Encore paniquée, je me perds dans mes explications mais j’en dis suffisamment pour qu'un inspecteur nous prenne à part dans son bureau insonorisé. Là, il nous explique patiemment que Chris Petters est en effet célèbre pour ses «frasques» et qu'il a déjà mis à mal plusieurs filles. Il admet qu'il est possible en effet qu'il soit l'assassin au lacet. Mais… le problème c'est que son taux d'audience bat tous les records. Il est l'idole du public. Il plaît autant aux femmes qu'aux hommes, aux pauvres qu'aux riches, et cela dans le monde entier. Il est… comment dire?… une «vitrine de l'Amérique». Ce qui fait que Chris Petters est protégé par sa chaîne, protégé par le gouvernement, protégé par tout ce que la nation compte de décideurs. On ne peut rien contre lui.
J'agite la perruque comme une preuve et un trophée. L'inspecteur ne doute pas qu'elle appartienne à Chris Petters, mais n'en insiste pas moins sur son impuissance.
– Si c'était le président des États-Unis qui vous avait attaquée, nous aurions pu faire quelque chose pour vous. Un président n'est pas au-dessus des lois. Mais Chris Petters, lui, est strictement intouchable.
– Nous ne sommes pourtant pas n'importe qui. Elle est Venus Sheridan et moi, son mari, vous me reconnaissez tout de même!
– Oui, vous êtes Richard Cuningham. Et alors! Vous sortez un film tous les six mois, tandis que lui est là tous les soirs et deux milliards de gens le regardent partout dans le monde! C'est un monument international!
Je ne comprends plus rien. Toutes mes valeurs s'effondrent. Ainsi, il y a de nos jours des gens qui échappent à la loi. Le policier consent à m'expliquer: