Nos agents mangent à une table non loin et passent au crible la liste de leurs autres clients masculins et féminins qu'ils pourraient mettre en couple. Je regarde Richard. Il me semble mieux que dans ses films. Etonnant comme sa peau est lisse. Et ce n'est pas de la chirurgie esthétique! Il doit utiliser une crème révolutionnaire, un truc que je ne connais pas. L'avoir devant moi en chair et en os, après l'avoir vu si souvent à la devanture des cinémas et dans des magazines, m'intimide un peu. Pour sa part, il mate mes seins neufs. Je ne suis pas mécontente de les rentabiliser aussi vite. On commande des sushis puis vient l'instant terrible où l'on doit engager une conversation. Nous ne savons pas quoi nous dire.
– Euh, votre agent… il est bien? demande Richard. Il prend combien?
– Heu… 12 % sur tout ce que je fais. Et le vôtre?
– Le mien me prend 15 %.
– Peut-être devriez-vous renégocier?
– C'est-à-dire que le mien s'occupe de tout. Il remplit mes factures, mes feuilles d'impôts, il paye mes courses, avec lui je peux même me permettre de ne jamais avoir d'argent sur moi. Je crois que la dernière fois où je me suis servi d'un porte-monnaie c'était il y a dix ans, avant mon succès dans le film
– Ah…
– Oui…
– Mmmh…
Que dire ensuite? Silence gênant. Heureusement, on
nous apporte les plats et nous mangeons. Ce n'est qu'au dessert que nous trouvons un deuxième thème de conversation. Nous parlons des cosmétiques qui entraînent des allergies et de ceux que tous les types de peaux supportent bien. Enfin détendu, il me dresse la liste de tous les ragots qu'il connaît dans le métier, qui couche avec qui, et quelles sont les perversions des célébrités. Ça, c'est vraiment passionnant. Le genre de conversation qu'on n'a pas avec n'importe quel quidam.
– Je vous trouve très belle, articule-t-il en y met tant une intonation très professionnelle.
Bon, il n'a pas vu tout ce qui cloche chez moi. J'en connais les détails par cœur: mes oreilles aux lobes trop courts, mes cils effrangés, mon gros orteil qui fait angle avec le reste du pied, mes genoux un peu cagneux…
Après le repas, il me conduit dans un palace où il a ses entrées et nous nous apprêtons à faire l'amour. D'abord, il plie ses affaires proprement sur une chaise puis il commande du Champagne et règle au mieux les lumières pour créer une ambiance tamisée.
– Alors, tu as le trac, petite? me demande-t-il.
– Un peu, éludé-je.
– Tu te rappelles ce que je fais à Gloria Ryan dans
– Désolée, je n'ai pas vu ce film. Que faites-vous avec le coussin, au juste?
Il déglutit, puis il pose la question qui a l'air de le préoccuper depuis le début de notre rencontre.
– Lesquels de mes films tu as vus?
J'en cite une bonne dizaine.
– Tu n'as pas vu
– Ahhh…
– On peut les trouver en DVD, je pense. Bon, et parmi les films où tu m'as vu, quel est ton préféré?
–
Moi aussi, je sais faire l'actrice.
Il en profite pour me déshabiller. Par précaution, j'ai choisi pour dessous ma tenue en dentelle de soie «Ravage». Ça, c'est mon petit film à moi. Ça lui fait de l'effet. Il me pétrit aussitôt la poitrine à travers l'étoffe, embrasse mon cou, caresse longuement mes cuisses. Je l'arrête avant qu'il ne touche mes genoux cagneux. Puis je le caresse à mon tour. Je découvre quelques tatouages sur son corps, ce sont des reproductions d'affiches des trois films préférés qu'il m'a cités. Un moyen subtil de faire sa propre promotion.
Puis nos corps se posent l'un sur l'autre. Il ne me conduit pas à l'orgasme. Il est trop attentif à son propre plaisir pour s'occuper du mien.
Les jours qui suivent, je réalise que Richard n'est probablement pas l'homme idéal évoqué par la médium Ludivine. Mais je suis consciente que le fréquenter me propulse dans le show-business. Je décide donc de devenir Mme Cuningham. Autre avantage, toutes mes rivales en seront vertes de jalousie et rien que pour ça, ça en vaut la peine.