Tel est le conte d’Esther, dont les prêtres ont fait une histoire sacrée, à laquelle il faut avoir foi, malgré ses criantes invraisemblances. C’est toujours par une impudicité qu’une sainte légende commence: si la reine Vasthi a été répudiée pour n’avoir pas voulu paraître toute nue devant les seigneurs et les sujets d’Assuérus, il est sous-entendu que la belle Esther, en se mettant au nombre des candidates à la succession de Vasthi, était disposée à se plier au caprice du roi. Les critiques disent aussi que jamais le sultan des Turcs, ni celui du Maroc, ni le shah de Perse, ni le grand Mogol, ni l’empereur de Chine ne reçoit une fille dans son sérail sans qu’on apporte sa généalogie et des certificats de l’endroit où elle a été prise; il n’y a pas un cheval arabe dans les écuries du Grand Seigneur, dont la généalogie né soit entre les mains du grand écuyer: comment donc Assuérus n’aurait-il pas été informé de la patrie, de la famille et de la religion d’une fille qu’il épousait solennellement et proclamait reine?… Quant à cet Aman, qui veut faire massacrer toute une nation parce qu’un quidam de cette nation refuse de se prosterner devant lui, et alors que les autres juifs qu’il voue à cet égorgement lui rendent cet honneur qu’il désire, il faut avouer que jamais une folie si ridicule et si horrible n’entra dans la tête de personne. D’autre part, si l’on admet, selon la Bible, qu’Esther a réussi à devenir reine et à garder la couronne en cachant qu’elle était juive, la gloire de cette élévation s’en trouve singulièrement diminuée au point de vue de l’amour-propre national; et, au surplus, on ne voit pas comment Assuérus peut juger Aman coupable d’avoir voulu faire égorger sa chère Esther en sa qualité de juive, puisque précisément personne ne sait à quelle race elle appartient!… Enfin, la cruauté exécrable de la douce Esther, en terminant le conte, ajoute l’odieux au ridicule.