Il est 10 heures précises, ce samedi 30 juin. Hitler entre dans le siège du Parti. Après une brève conversation avec le Führer qu’il suit comme son ombre, Goebbels demande une communication avec le quartier général de Goering à Berlin. Le ministre de la Propagande du Reich ne prononce qu’un mot : « Colibri ».
Colibri : trois syllabes pour dire qu’à Berlin aussi les tueurs peuvent agir.
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SAMEDI 30 JUIN 1934
Berlin, dans la matinée
TSCHIRSCHKY ET PAPEN CHEZ GOERING.
C’est vers 7 heures du matin que Tschirschky inquiet du coup de téléphone reçu dans la nuit, avec cet interlocuteur mystérieux qui avait immédiatement raccroché, s’est rendu à la vice-chancellerie. Berlin est encore assoupi : une journée d’été commence, chaude, lumineuse. Les arroseuses municipales passent lentement dans un bruit régulier, l’eau gicle dans le soleil. Tout parait calme. Tschirschky note pourtant autour des bâtiments officiels des voitures de police qui stationnent. Depuis deux ou trois jours, en fait, les observateurs ont remarqué ce renforcement des mesures de sécurité. La police de Berlin a été mise en état d’alerte, mais en fin de journée, par deux fois déjà, on l’a déconsignée. Hier soir la mesure d’alerte a été maintenue. Et ce matin, les voitures sont toujours là ; les rondes aussi, régulières. Deux ou trois voitures noires qui avancent lentement dans les rues presque désertes. Parfois, passent des véhicules de l’armée transportant des S.S. impassibles. Tschirschky tente de se renseigner, mais le ministère de l’Intérieur du Reich ignore tout des mises en alerte de la police. Le directeur des services de police du ministère, Daluege, n’a même pas été consulté par Goering qui a pris directement la décision. Tous ces éléments préoccupent Tschirschky qui sait que dans les milieux bien informés on attend un événement. Les signes avant-coureurs n’ont pas manqué et le coup de téléphone de cette nuit n’a au fond, même pas surpris Tschirschky. Cette fois-ci nous y sommes, a-t-il pensé et c’est pourquoi il est là, à la vice-chancellerie, arpentant les couloirs déserts, gagnant son bureau.
Or, à peine est-il installé depuis quelques instants qu’il reçoit une communication téléphonique : Goering lui-même demande à voir le vice-chancelier Franz von Papen d’extrême urgence. Désormais pour Tschirschky, il n’y a plus de doutes : des événements graves se produisent ou vont se produire. Ce que tout le monde attend depuis le début de juin, sans savoir vraiment ce que cela va être, est là, prêt à déferler sur la capitale allemande ensoleillée et endormie.
Chaque jour Franz von Papen se rend à son bureau à la vice-chancellerie vers 9 heures, avec la régularité méthodique de l’officier prussien élevé à l’école des cadets de Lichterfelde. Tschirschky pourtant n’hésite pas et, racontera Papen plus tard « il m’appela de la vice-chancellerie pour me demander de venir aussi vite que possible... En arrivant à mon bureau, j’appris que Goering voulait me voir de toute urgence ». Il est à peine 8 h 30. Berlin s’anime pourtant. Dans le quartier des ministères, c’est l’heure des employés qui sortent en vagues sombres des bouches de métro.
Sur la Wilhelmplatz, le vendeur de cigares tire nonchalamment la petite carriole qui lui sert d’étalage pour gagner l’angle de la place où, chaque jour, il s’installe devant le palais du Prince-Léopold, attendant tout ce monde des ministères qui, à l’heure du déjeuner, descend la Wilhelmstrasse et vient flâner dans le petit square de la Wilhelmplatz, devant les colonnes du Kaiserhof ou les statues des héros de la guerre de Sept ans.