Il y a un moment de silence, mais Buch, le grand juge, auquel Roehm avait échappé en 1932, pose à nouveau la question du sort des chefs S.A. emprisonnés à Stadelheim. « Il faut fusiller ces chiens » s’écrie Hitler. Il prend une liste que lui tend Wagner, le ministre de l’Intérieur, et d’un geste rageur il fait une croix devant une série de noms. Parfois il hésite, puis la main dessine les deux nouveaux traits qui signifient la mort. Tout le monde se tait et on entend crisser la plume sur le papier. Quand il a terminé, le Führer donne la liste à Sepp Dietrich :
« Rendez-vous immédiatement à la prison de Stadelheim dit-il. Prenez six sous-officiers et un officier S.S. et faites exécuter ces chefs S.A. pour haute trahison. »
La liste des prisonniers est celle qu’a établie le directeur de la prison, le docteur Koch. Six noms d’officiers supérieurs de la Sturmabteilung ont été marqués d’une croix. Sepp Dietrich lit lentement.
— Edmund Schmidt, Gruppenführer S.A., cellule 497
— Hans Joachim von Spreti-Weilbach, Standartenführer, cellule 501
— Hans Peter von Heydebreck, Gruppenführer S.A., cellule 502
— Hans Hayn, Gruppenführer, cellule 503
— August Schneidhuber, Obergruppenführer S.A., préfet de police de Munich, cellule 504.
Le Führer ajoute sèchement : « J’ai gracié Roehm, en raison des services rendus. »
Au dernier moment, Hitler a donc hésité encore : habileté politique ou scrupule, machiavélisme pour conserver un atout contre les autres clans ou souvenir du capitaine Roehm qui l’avait aidé à accomplir ses premiers pas de politicien à Munich ? Quoi qu’il en soit, la consternation apparaît sur les visages de Buch, de Goebbels, de Bormann : Roehm leur échappe encore et tant qu’il vivra un retournement du Führer ne sera pas impossible. Seule la mort de Roehm peut les mettre à l’abri. Et ils veulent l’obtenir, coûte que coûte. Mais pour l’heure, il faut céder à Hitler, se contenter de ne pas laisser Roehm s’enfuir, le tenir et avertir à Berlin, Goering, Himmler et Heydrich. Il faut attendre et prendre aujourd’hui ce qu’accorde le Führer, les condamnations des six Führer de la S.A. enfermés à Stadelheim.
À LA PRISON DE STADELHEIM.
Dans les cellules, les chefs S.A. attendent. Malgré les hurlements du Führer, les coups reçus parfois, les insultes, le mépris des S.S., ils ne peuvent pas croire, imaginer qu’ils vont mourir alors que le régime de Hitler est toujours en place, qu’ils portent encore ces uniformes recouverts de grades et d’insignes qui attestent qu’ils étaient le pouvoir, qu’ils étaient eux, les S.A., la puissance et la force. Et puis il y a ce soleil d’été qui pénètre dans les cellules. Pourquoi mourir ? Quelle est cette histoire de fou ?
Vers 17 heures, Sepp Dietrich arrive à la prison de Stadelheim. Les ordres brefs qu’il donne sont immédiatement exécutés ; déjà alors qu’il atteint à peine le premier étage du bâtiment, six sous-officiers S.S. se rassemblent dans la cour qui à cette heure se trouve à l’ombre des hauts murs de pierres grises. Un officier de l’Ordre noir leur fait vérifier le fonctionnement de leurs armes et les aligne à dix mètres de l’un des murs. Dietrich pendant ce temps est introduit dans le bureau du directeur Koch et lui remet la liste des prisonniers condamnés à mort. Koch hésite, ses lèvres tremblent : depuis ce matin, il a peur, le monde bascule, il sent que la vie des hommes aujourd’hui, est fragile, menacée. Il a peur de prendre une décision, peur d’accepter et de refuser. Néanmoins il proteste, au nom du respect des règles : la liste n’est pas signée, dès lors, dit Koch, il ne peut remettre les prisonniers à Sepp Dietrich. Le Gruppenführer n’a pas un mot de commentaire : il reprend la liste et quelques minutes plus tard sa voiture file vers la Maison Brune. Peut-être lui aussi préfère-t-il être couvert par une autorité supérieure. C’est le ministre Wagner qui, à la Maison Brune, signe sans hésiter et le sursis accordé aux officiers S.A. s’achève.
Le peloton est rangé dans la cour déserte. Sepp, escorté de deux S.S., va vers la première cellule et le bruit sec des serrures fait sursauter le prisonnier qui se lève. Dietrich salue : « Vous avez été condamné à mort par le Führer pour haute trahison. Heil Hitler. » Les deux S.S. s’avancent et le prisonnier, hier l’un de ceux qui détenaient le pouvoir et qui pesaient sur la vie des hommes, les suit dans le couloir vers la cour, bientôt il est le dos au mur regardant peut-être jouer la lumière du soleil dans les vitres des bureaux du premier étage, pendant que retentissent les commandements. « Le Führer l’exige, crie l’officier S.S. qui dirige le peloton. En joue. Feu ». Et le corps tombe.
Dans les autres cellules on entend les salves et le cauchemar devient réalité.
Quand Dietrich se présente devant l’Obergruppenführer Schneidhuber, celui-ci lui crie : « Camarade Sepp, mais c’est de la folie, nous sommes innocents. » Et le Gruppenführer répète seulement : « Vous avez été condamné à mort par le Führer pour haute trahison ; Heil Hitler ! »