À Gleiwitz à 160 kilomètres de Breslau, les voitures sont arrivées vers midi alors que les ouvriers sortent des usines métallurgiques. L’équipe de tueurs officiels demande à voir le préfet de police Ramshorn. Il est membre de la Sturmabteilung, député du Parti, héros de la Guerre mondiale. Les agents de la Gestapo bousculent les huissiers et font feu sur Ramshorn qui venait à peine de quitter sa table de travail. Il s’effondre sur le tapis de son bureau comme Schleicher s’est effondré à Berlin, ou Bose, ou Klausener.
À Stettin, les envoyés de Himmler se sont d’abord arrêtés à la brasserie Webersberger, sur la Paradeplatz au bout de l’une des plus grandes avenues de la ville du Nord. Ils ont bu calmement de la bière, en silence. Puis ils sont allés au siège de la Gestapo et ils ont arrêté Hoffmann, le chef local, tortionnaire sans scrupules dont le Reichsführer S.S. veut se débarrasser.
À Koenigsberg, dans le jour bleu pâle de la Baltique, d’autres agents se saisissent d’un chef S.S., le comte Hohberg. En Silésie c’est le frère de Heines qui est abattu. Ailleurs ce sont des S.S., des hommes tranquilles ou des chefs S.A. Peu importe, le jour est favorable. On tue ceux qui vous gênent, S.A., S.S., il suffit d’être sur les listes dressées par ceux qui mènent l’action pour mourir, plus ou moins vite, abattu dans un bois, au bord d’une route ou brûlé dans un four crématoire. Parfois l’un de ces hommes pourchassés, auquel on dit de courir à travers bois cependant qu’on le vise, réussit véritablement à fuir, blessé – ce sera le cas de Paul Schluz – dans les bois de Potsdam. Parfois les régions sont à peine troublées : en Thuringe, la police et les S.S. se contenteront d’arrêter quelques S.A.- Fuhrer qu’on enverra, pour quelques semaines, en prison ou à Dachau et qui reviendront la tête rasée, amaigris, les yeux enfoncés où passent encore les éclats de la peur.
De Berlin, Heydrich relance ses limiers et ses tueurs ; on sent qu’il veut profiter de l’occasion pour nettoyer le Reich de ses adversaires. Il téléphone, insiste, multiplie les ordres. Il reste en permanence au siège de la Gestapo Prinz-Albrecht-Strasse, contrôlant personnellement les opérations, établisssant les petites fiches blanches que des agents apportent à Goering et à Himmler, Leipziger-Platz. Un numéro, un mot : « fusillé » ou « arrêté » ou « en cours » pour signaler aux deux grands chefs nazis le sort de tel ou tel de leurs anciens camarades. Et le central téléphonique de la Gestapo ne cesse d’appeler les sièges locaux : Heydrich ne laisse aucune trêve à ses tueurs. Un homme n’a pas fini de mourir que déjà il faut en traquer un autre. Du samedi 30 juin au lundi 2 juillet, le n° 8 de la Prinz-Albrecht-Strasse lance ainsi 7 200 appels téléphoniques. Un réseau d’ordres qui recouvre le Reich de sa toile. Il arrive pourtant que l’une des victimes désignées réussisse à s’échapper : le banquier Regendanz qui avait organisé la rencontre Roehm-François-Poncet et qui a depuis quelques années appris à piloter, est averti par des voies mystérieuses de ce qui va se dérouler et le samedi matin il s’envole pour l’Angleterre dans son avion personnel.