Mais, le plus souvent, la Gestapo et les S.S. sont efficaces : abattu l’avocat berlinois Glaser qui avait eu l’audace de plaider contre Max Amann ; abattu le docteur Erwin Villain, Standartenführer des S.A. qui était le rival d’un médecin S.S. ; abattus, les S.S. Toifl et Sempach qui ont eu maille à partir avec Himmler. Parfois les victimes tentent de se défendre. À Breslau, les S.A. ouvrent le feu sur les S.S. de l’Oberabschnittsführer Udo von Woyrsch, ce fils d’un général de la Reichswehr, devenu membre de l’Ordre noir. Cette résistance de courte durée provoque immédiatement l’intervention de l’armée. Sur le Ring, autour des grands bâtiments du Rathaus et du Stadthaus, les camions de la Reichswehr ont pris position. Les soldats sont casqués et portent leurs armes de guerre. Sur les plates-formes les lourdes mitrailleuses ont déjà les bandes engagées et les servants, assis sur les caisses de munitions, sont prêts à tirer. Il semble que l’on revive le temps des corps francs et la menace révolutionnaire des années 1919 1921. Mais les mitrailleuses n’auront pas à entrer en action. Von Woyrsch et Brückner, le Gauleiter du Parti, liquident la résistance S.A. et leur vieux camarade le chef de brigade S.A. von Wechmar est fusillé sur leur ordre. Woyrsch et Brückner rivalisent d’ailleurs pour ne pas risquer d’être accusés de complicité avec la Sturmabteilung : et ce sont les juifs qui font les frais de cette concurrence. Pourchassés, battus, torturés, leurs corps et ceux d’autres victimes seront jetés dans l’Oder du haut des ponts. Dans la soirée du dimanche 1er juillet, le chef S.S. de Breslau déclare encore : « Il faut liquider tous les cochons. » Et l’on continue donc à tuer. Non seulement ceux qui sont inscrits sur les listes depuis longtemps mais aussi leurs femmes. Les corps, quelques jours plus tard, remonteront à la surface des eaux noires de l’Oder. Peu importe : les morts ne racontent pas l’histoire.
On va tuer les adversaires jusque dans les prisons où, parfois depuis des mois, ils croupissent sous les insultes et les coups. Les S.S. se font ouvrir les portes des cellules, ils entrent dans les camps de concentration, ils choisissent, ils frappent, torturent, tuent. Ainsi meurt l’écrivain Erich Muhsam qui avait participé à la République des Conseils, un temps victorieuse à Munich avant que la Reichswehr ne l’écrase. Elle était morte un 1er mai de 1919 : 15 ans plus tard, Muhsam meurt à son tour de la main des S.S. que la Reichswehr protège.
Et l’on passe de la liquidation d’un adversaire politique à la suppression d’un rival : l’Oberabschnittsführer S.S. Erich von dem Bach Zelewski fait abattre par deux S.S. le Reiterführer S.S. Anton Freiherr von Hoberg und Buchwald. Qu’importe si ce vieux combattant nazi n’a rien à voir avec la Sturmabteilung, qu’importe si le meurtre se déroule sous les yeux horrifiés du jeune fils du Freiherr : ce qui compte c’est la place ainsi libérée pour l’ambitieux Zelewski. L’arrestation de l’Obergruppenführer de la S.A. Karl Ernst aussi va permettre à un S.S. aux dents longues d’accéder à de nouveaux pouvoirs.
LE DÉPART POUR MADÈRE.
Ernst ne s’est douté de rien. Il rêve à son voyage de noces à Madère. À Bremerhaven, avec l’enchantement d’un enfant et d’un parvenu devant qui s’ouvre l’aventure enivrante de la richesse il a visité le paquebot Europa, l’orgueil de la flotte allemande. Il est accompagné de sa jeune femme, de camarades des S.A. On boit, on festoie à Brème durant toute la nuit du vendredi au samedi. À midi, ce 30 juin, un grand banquet se déroule à l’Hôtel de Ville et le préfet de police de Brème souhaite aux jeunes mariés « une longue vie pour le bonheur de l’Allemagne ». Horst Wessel Lied.