Il faut se battre et les risques se multiplient : contre les socialistes organisés dans la Bannière d’Empire, contre les communistes rassemblés dans la Ligue Rouge des Combattants du Front. On s’observe, on défile avec fanfares et étendards, on lance des pierres. La police le plus souvent favorable aux S.A., tente parfois de séparer les camps, mais elle est vite débordée ou complice. Et les incidents succèdent aux incidents. Une violence entraîne l’autre : on se venge. À Essen, les communistes enterrent l’un des leurs et quand le cortège passe devant la Braunes Haus où un S.A. monte la garde, ils le menacent d’une exécution sommaire ; on échange des coups de feu. Un S.A. est capturé, on pense l’abattre contre un mur. Ailleurs ce sont des cadavres de syndicalistes qu’on retrouve dans les marécages. Là ce sont encore des rixes dans des débits de boisson. Quand un « rouge » est tué il y a toujours une excuse pour le S.A. A Essen, c’est en tombant que le S.A. ivre Kiewski a appuyé involontairement sur la gâchette de son revolver : le communiste Ney a été abattu.
Dans l’euphorie du 30 janvier 1933, quand défilent sous les fenêtres du nouveau Chancelier, Hitler, les milliers de partisans du Reich qui crient leur joie, les S.A. comprennent que les derniers obstacles à leur violence sont tombés. Les tribunaux condamnent sans hésiter leurs adversaires. Un foyer S.A. (S.A. Heim) est-il attaqué à coups de pierre, les sentinelles répondent à coups de feu et les agresseurs supposés – car l’attaque n’est pas prouvée – sont condamnés à mort ou à la détention à perpétuité. Et les effectifs des S.A. gonflent : quand on porte la chemise brune la violence devient héroïsme. Des délinquants, des obsédés sexuels, les bas-fonds qui surnagent quand la société est bouleversée, adhèrent et se mêlent aux S.A. du rang, entraînés à la violence et au sadisme.
Les rues sont parcourues par leurs bandes en uniforme, « Judas, crève », crient-ils. Ils montent la garde devant les magasins juifs, pour décourager les clients. Ils collectent des fonds au bénéfice du nazisme ou simplement à leur profit, et qui pourrait refuser ? D’ailleurs le 22 février 1933, par décision de Goering, ministre de l’Intérieur et bientôt Président du Conseil de Prusse, 25 000 S.A. et 15 000 S.S. sont constitués en police auxiliaire. Comme l’écrivait Goering le 17 février, donnant ses instructions aux forces de l’ordre : « Les policiers qui font usage de leurs armes en accomplissant leur devoir seront couverts par moi, sans égard aux conséquences de l’usage de leurs armes. Mais celui qui se dérobe par suite d’une délicatesse mal comprise doit s’attendre à des peines disciplinaires ». La voie était libre. Les S.A. pouvaient chanter le Horst Wessel Lied, qui rappelle le souvenir d’un héros S.A., par ailleurs ancien souteneur, tué au cours d’une rixe.
Les temps ont changé depuis ce jour de juillet 1932 où pour recruter de nouveaux adhérents les S.A. organisaient des concerts, comme dans cette petite ville où l’affiche suivante est placardée le samedi 2 juillet 1932.
« Soirée de marches militaires avec recrutement S.A. donnée par la musique de l’étendard 82 (44 exécutants)
Attractions présentées par les S.A. Le chef d’étendard parlera de la « volonté de se défendre, chemin de la liberté ».
— Les SA. héritiers de l’esprit de 1914
— Soirée exceptionnelle pour des coeurs de soldats
— La soirée commencera par un défilé de propagande à travers la ville.
Sturmbann 1/82 ;... Standarte 82.
Aujourd’hui le pouvoir est entre leurs mains. L’heure est aux avantages, aux places. De toutes parts accourent les nouveaux adhérents. Parfois ce sont d’anciens socialistes ou communistes qui, dans l’organisation S.A., cherchent à faire oublier leur opinion passée. Roehm n’a pas hésité à dire, provocant comme à son habitude : « J’affirme que parmi les communistes, surtout parmi les membres des « Anciens Combattants rouges », il y a beaucoup d’excellents soldats ». D’ailleurs selon certains de leurs adversaires quelques Sections d’Assaut méritent le nom de « Beefsteak-Stürme », bruns dehors et rouges à l’intérieur !