Pour effacer l’incident et aussi pour faciliter le contact, le 2 février, von Hammerstein invite le nouveau Chancelier à dîner. Soirée austère : les généraux, les amiraux sont en grand uniforme, pourtant Hitler n’est nullement intimidé, il discourt deux heures et avec ce sens politique qui lui a permis de réussir il donne des gages : l’armée et la marine restent souveraines, lui ne s’en occupera pas. Il leur promet simplement de tout faire pour le réarmement ; il va soustraire les militaires aux tribunaux civils. Hitler flatte, respectueux des prérogatives. Ce soir-là, il conquiert la plupart des officiers présents. L’amiral Raeder qui assiste à la réunion note : « Aucun chancelier n’a jamais parlé avec une telle fermeté en faveur de la défense du Reich ».
Toujours prudent le nouveau Chancelier multiplie les actes de séduction : avec ceux qui sont puissants Hitler sait biaiser le temps qu’il faut Le 21 mars 1933, Goebbels et Hitler organisent la cérémonie d’ouverture du nouveau Reichstag dans l’église de la garnison de Potsdam : tous les maréchaux sont là, Von Mackensen et le Kronprinz en uniforme des hussards de la mort Hindenburg qui se souvient être venu dans cette église en pèlerinage en 1886 après qu’il eut participé à la guerre austro-prussienne. Ici les Hohenzollern s’agenouillèrent pour prier, ici venait s’asseoir Guillaume II. Hindenburg salue le siège vide de l’Empereur, puis Hitler tourné vers le vieux maréchal déclare : « Monsieur le Maréchal, l’union a été célébrée entre les symboles de l’ancienne grandeur et de la force nouvelle. Nous vous rendons hommage. Une Providence protectrice vous place au-dessus des forces neuves de notre nation. »
En Hindenburg c’est l’armée qui reçoit l’hommage de Hitler. Et le Führer continue d’ajouter les signes de bienveillance aux marques de respect : il a besoin de l’armée. Ses officiers sont les seuls professionnels de la chose militaire et si la guerre de revanche vient, il faut les avoir avec soi : les S.A. compteront peu devant des armées de métier. Pour conserver le pouvoir, il faut aussi compter avec les militaires : ils ont les armes, l’appui des cercles conservateurs, le respect de la plus grande partie de la nation ; et pour élargir son pouvoir, Hitler a encore et toujours besoin des officiers. Si Hindenburg meurt, il faudra bien le remplacer et il faudra alors l’accord de l’armée.
Hitler dès son accession aux fonctions de chancelier, alors même que, le regard à terre, il serre respectueusement la main du Maréchal, songe à cette mort qui peut lui permettre d’augmenter considérablement ses prérogatives. Mais pour cela il faut l’accord du général Blomberg et du général Reichenau, l’accord du général von Fritsch, l’accord du général Ludwig Beck, nouveau chef du Truppenamt : l’accord de l’ensemble de cette caste militaire qui constitue l’Offizierskorps. Alors le Führer ménage l’armée.
Le 1er juillet, il parle aux chefs S.A. réunis à Bad Reichenall. Les S.A. écoutent, acclament leur Führer qui dit, en leur nom, ce qu’ils ne pensent pas. « Les soldats politiques de la révolution, s’écrie le Führer, ne désirent nullement prendre la place de notre armée ou entrer en compétition avec elle. » Les officiers de la Reichswehr enregistrent avec satisfaction. Mieux : Hitler célèbre les vertus de l’armée le jour du Stahlhelm. Or l’Association des casques d’acier apparaît le plus souvent aux chefs S.A. comme un repaire de conservateurs, d’aristocrates raidis par leurs principes vieillots et leurs privilèges. Mais Hitler reconnaît, lui, qu’il a contracté une dette envers le Stahlhelm, envers l’armée allemande. « Nous pouvons assurer l’armée que nous n’oublierons jamais cela, dit-il, que nous voyons en elle l’héritière des traditions de la glorieuse armée impériale allemande et que nous soutiendrons cette armée de tout notre coeur et de toutes nos forces. »
L’armée est séduite. Et Hitler ne donne pas que des mots. Des promotions accélérées sont accordées aux jeunes officiers. Le jeune colonel von Witzleben est promu Generalmajor et prend la tête de la 3eme division d’infanterie de Berlin. Pourtant on le dit presque hostile aux nazis. L’attaché militaire français, le général Renondeau, s’inquiète : « Le Parti, écrit-il à Paris au début de 1934, gagne donc la Reichswehr. Il en conquiert le sommet et la base. L’armée perd sa neutralité ». En septembre 1933 le général Blomberg a d’ailleurs fait un geste qui confirme cette analyse : officiers et soldats doivent désormais en certaines circonstances faire le salut hitlérien.
REICHSWEHR CONTRE S.A. LE ROCHER GRIS ET LA MAREE BRUNE
Tout irait bien s’il n’y avait les S.A., sans lesquels pourtant, Hitler ne serait probablement pas parvenu au pouvoir. Eux, ils sont de plus en plus agressifs et ils s’en prennent à l’armée. À tous les niveaux entre les deux groupes c’est l’hostilité ou le mépris.