Mais... il y a les S.A. Et Roehm qui ne cède pas. Il vient même de demander qu’on incorpore dans la Reichswehr 2 000 officiers et 20 000 sous-officiers S.A. Le Führer se résout à convoquer son vieux camarade. Le chef d’État-major se rend à la Chancellerie. C’est la fin février : le temps sur Berlin est implacablement froid et clair. Roehm arrive d’un pas décidé. Il connaît bien Hitler : il sait que le Fuhrer déteste les oppositions et qu’il lui arrive de céder si elles sont tenaces. Roehm est tenace. Dans l’antichambre, il remarque le comte von Tschirchsky, l’un des collaborateurs directs de Franz von Papen, cet homme de la Reichswehr et de Hindenburg que le Führer a accepté comme vice-chancelier. Maintenant ce renard de Papen espère exploiter, au profit des conservateurs, au profit de son clan militaire, l’opposition des S.A. à la Reichswehr. Dans certains milieux, on murmure qu’un plan existe pour pousser la S.A. à une action : Hindenburg inspiré par Papen décréterait l’état d’exception au bénéfice de la Reichswehr. Pour Hitler, on verrait bien. Roehm soupçonne cela. Hitler aussi, et le Chancelier sait bien que sa force lui vient d’être ainsi entre deux forces : S.A. et Reichswehr.
Tschirchsky dans l’antichambre patiente depuis un long moment II entend des éclats de voix de plus en plus violents. Brückner à son poste ne bouge pas. Les voix montent encore. Tschirchsky reconnaît celle de Hitler, rauque, violente. Ironique, Tschirchsky se tourne vers Brückner. « Mon Dieu, dit-il, est-ce qu’ils sont en train de s’égorger là-dedans ? » Puis il distingue la voix de Roehm, qui parle des 2 000 officiers à intégrer dans la Reichswehr, et celle, plus forte, de Hitler : « Le Reichspräsident ne le fera jamais. Je vais m’exposer à perdre la confiance du Reichspräsident. »
Bientôt les deux hommes sortent du bureau du Chancelier. Tschirchsky s’est dressé, mais Hitler, hagard, ne le reconnaît pas. Il passe, suivant Roehm, puis il va s’enfermer dans son bureau.
Le lendemain c’est le Volkstrauertag (journée de deuil national) ; le gouvernement national-socialiste est reçu par le président Hindenburg. Après les échanges de compliments réciproques, Hitler présente au Maréchal les propositions de Roehm. D’un mot Hindenburg les rejette. Hitler se tait. Il accepte la gifle dont Roehm est responsable. Il savait. Comme il sait que l’entourage du vice-chancelier Papen sonde les milieux militaires : les généraux Beck, Rundstedt, Witzleben seraient-ils prêts à intervenir pour balayer les S.A. et la racaille nazie ? Mais tous ces officiers hésitent refusent parfois même d’écouter : ne sont-ce pas des leurs qui sont ministres de la Guerre, et qui occupent les fonctions clés de la Bendlerstrasse ? D’ailleurs ils n’obéissent qu’à Hindenburg et Hindenburg est toujours là, recevant l’hommage du Chancelier national- socialiste et refusant les propositions de Roehm. Naturellement si ces dernières étaient acceptées, si la S.A. s’insurgeait... Mais Hitler va empêcher cela.
UN NOUVEAU TRAITE DE VERSAILLES
Quelques jours plus tard, Hitler a tranché, en faveur de la Reichswehr, mais il veut aussi la réconciliation, il a besoin de l’armée et des S.A.
Le 28 février, il convoque une grande réunion à la Bendlerstrasse : c’est la parade des uniformes, tous les dignitaires des S.A. et des S.S., Roehm lui-même et les généraux de la Reichswehr sont présents.
Hitler se lève, il regarde droit devant lui ; il est le point d’appui des hommes qui sont ici, des hommes des deux camps. Il veut convaincre. Il parle lentement, détachant les expressions les unes des autres, il force l’attention.
« Le peuple allemand va au-devant d’une misère effroyable. » Tels sont ses premiers mots et bien que le silence soit total dans la salle, on sent la surprise qui éclate. Le propos tranche sur les avenirs radieux que le Führer promet aux foules dans les grands meetings enthousiastes. « Le nazisme a éliminé le chômage, poursuit Hitler, mais lorsque les commandes de l’État seront satisfaites, dans huit ans environ, surviendra un recul économique. Un seul remède : créer un nouvel espace vital pour l’excédent démographique. » Tous les officiers écoutent, l’étonnement se lit dans les regards de ces hommes qu’une longue discipline a entraînés à une impassibilité de façade. « Les puissances occidentales ne nous accorderont jamais cet espace vital, continue Hitler, c’est pourquoi des coups rapides, mais décisifs pourront devenir nécessaires d’abord à l’ouest puis à l’est »