« Il n’y avait plus pour moi qu’une seule décision possible, dira-t-il le 13 juillet. Il m’apparaissait clairement qu’un seul homme pouvait se dresser contre le chef d’État-major Roehm. C’est moi qu’il avait trahi et moi seul devais lui en demander compte. » Le verdict de Hitler vient de tomber et le piège mûrement préparé par tant d’hommes aux intérêts et aux buts différents se referme sur les S.A.
Samedi 30 juin 1934. Hôtel Dreesen vers 1 heure du matin. Le Chancelier Hitler a pris sa décision. La Nuit des longs couteaux devient réalité. Toute l’histoire du nazisme, le destin des chefs du Parti, sont venus se concentrer dans ces quelques heures, les dernières heures de l’hésitation. Maintenant l’action commence pour Hitler. Il va s’envoler pour Munich et tout au long de ces heures entre le moment où il va quitter l’hôtel Dreesen et le moment où il atterrira à Munich, les jours, chaque jour de ce mois de juin 1934 décisif, vont resurgir. Et quand l’avion de Hitler touchera le sol sur l’aérodrome de Munich-Oberwiesenfeld le mois de juin sera achevé. Il sera le samedi 30 juin à 4 heures du matin.
Deuxième partie
CE MOIS QUI MEURT EN CE JOUR QUI COMMENCE
Samedi 30 juin 1934 entre 1 heure et 4 heures du matin
(Du vendredi 1er juin au samedi 30 juin 4 heures du matin)
1
SAMEDI 30 JUIN 1934
Godesberg. Hôtel Dreesen. 1 heure
(du vendredi 1er juin au samedi 9 juin 1934)
« UN PUTSCH ». CRIE LE FUHRER.
Samedi30 juin, 1 heure. Devant l’hôtel Dreesen des hommes courent lourdement vers les garages ou les voitures dont certaines sont rangées dans le jardin même. L’Oberleutnant Brückner, imposant, les jambes écartées, se tient immobile sur le perron. Un sous-officier de la S.S. prend des ordres : il faut ouvrir la route jusqu’à l’aéroport de Bonn, à moins d’une quinzaine de kilomètres de Godesberg. Le Führer ne veut pas perdre de temps. Bientôt les moteurs pétaradent : les deux estafettes démarrent, les puissantes motos noires s’inclinent jusqu’à paraître devoir se renverser, puis il semble que leurs conducteurs réussissent à les redresser d’un coup de reins et rapidement elles ne sont plus signalées que par deux cônes blancs qui crèvent la nuit et par le pointillé de deux lumières rouges dansantes.
Dans le hall de l’hôtel, l’agitation est fébrile. Walther Breitmann court frapper aux chambres du premier étage où déjà quelques chefs nazis s’étaient retirés. Il les a prévenus du départ imminent du Führer. Ils sont là, les manteaux de cuir jetés sur les fauteuils, parlant à haute voix puis se taisant brusquement quand paraît Adolf Hitler. Celui-ci va et vient, passant de la terrasse au hall ; il a, à ses côtés Goebbels, et les deux hommes ne cessent de parler, parfois à voix basse, Goebbels agitant les mains, regardant le visage du Führer pour y guetter une approbation. Mais le Chancelier ne tourne pas le visage vers le ministre de la Propagande. Il marche, légèrement penché en avant, il interrompt Goebbels, il parle à son tour, les yeux brillants, le visage contracté. « Un putsch, répète-t-il, contre moi. » Joue-t-il la comédie de la surprise avec Goebbels, Goebbels qui sait que les nouvelles transmises depuis Berlin par Himmler et depuis Munich par Wagner sont fausses ? Hitler l’ignore-t-il vraiment, vient-il réellement de prendre sa décision ou bien agit-il en comédien consommé qu’il est capable d’être ?
Il parle, dressant un bilan, refaisant l’histoire à sa manière, préparant déjà ce discours qu’il lui faudra prononcer un jour. « Depuis des mois, continue-t-il, il y a eu de graves discussions entre Roehm et moi ».
Hitler s’arrête : il prend les dignitaires du parti à témoin. Viktor Lutze, parmi eux, se tient au garde-à-vous, respecteux.
« C’est alors que, pour la première fois, j’ai conçu des doutes sur la loyauté de cet homme ».
Brückner apparaît, il annonce qu’à l’aéroport de Bonn-Hangelar l’appareil personnel du Führer sera prêt à décoller dans moins d’une heure. Hitler ne semble pas l’entendre, tout à son accusation, à la justification de la décision qu’il vient de prendre et qui est déjà hors de lui, devenue un acte, avec cet avion dont les mécaniciens vérifient les moteurs dans la lumière métallique des projecteurs, avec ces hommes du Gruppenführer Sepp Dietrich qui maintenant sont dans la cour de leur caserne à Kaufering, rassemblés par leur chef qui leur donne les consignes. Jeunes S.S. aux uniformes noirs, ils écoutent, engourdis dans leur sommeil brisé, à peine réveillés par la nuit dont la fraîcheur les saisit. La décision de Hitler est devenue un acte qui prend davantage vie à chaque minute, qui bientôt recouvrira toute l’Allemagne.