De Schloss Buddenberg on est passé au camp d’Olfen : même cérémonial, mêmes corps tendus dans la joie de la discipline physique et de la certitude morale. Devant les groupes formés en rectangle parfait, Hitler parle à voix basse à son aide de camp, des hommes courent Brückner donne des ordres. L’inspection est interrompue. Le Chancelier ne visitera pas les camps 210 et 211, il ne verra pas les travaux que les volontaires du R.A.D. ont entrepris sur la rivière Niers. Hierl s’y rendra. Brusquement le Führer vient de se décider à réunir une conférence à Godesberg. C’est Brückner qui choisit l’hôtel Dreesen,
Les dignitaires s’engouffrent dans les voitures. On reconnaît le Docteur Ley, le Führer du Front du Travail, Marrenbach, son aide de camp, et aussi le Docteur Dietrich, chef du service de presse du Chancelier.
Le cortège officiel a roulé vers Godesberg, rapidement. On ralentissait au passage des agglomérations. À la hâte, les chefs nazis locaux avaient rassemblé les habitants : partout des cris, des bras tendus et ces drapeaux rouges à croix gammée noire, fascinant emblème du nouveau Reich. « Comme un feu de poudre, raconteront les journalistes, la nouvelle parcourut les rues et les places : le Führer arrive, le Führer arrive ! En quelques instants, des milliers et des milliers de personnes se rassemblèrent le long de la route que suivait le Führer. Soudain des drapeaux et des fanions apparurent à toutes les fenêtres. »
À Godesberg même, dans les petites rues pittoresques de cette station thermale, les habitants se rassemblent, les drapeaux surgissent. Mais la voiture du Chancelier est déjà passée, il reste les nombreuses voitures officielles qui la suivent : celles des chefs du parti, des chefs des organisations nazies qui viennent de toutes les parties de l’Allemagne de l’Ouest et qui se rendent à l’hôtel Dreesen. C’est l’hôtel connu des bourgeois de la Ruhr et de Bonn, un hôtel tranquille et discret. Plus tard, en 1938, Hitler y rencontrera Neville Chamberlain au cours d’une des conférences de la dernière chance. En ce vendredi 29 juin 1934, le Dreesen n’est encore qu’un hôtel où Gustav Stresemann, ce fils de limonadier, ministre des Affaires étrangères, partisan d’une entente avec la France, est venu souvent se détendre, au temps de la République de Weimar, avant la tourmente qui a jeté bas ce régime : la grande crise de 1929.
Le propriétaire est honoré d’accueillir le nouveau Chancelier, Hitler. D’un geste emprunté, il montre le panorama qui s’ouvre sur Bonn, au loin vers le Nord, à une dizaine de kilomètres ; vers le Rhin qui forme un large méandre dans la plaine alluviale étalée sur la rive gauche. Le Führer aime les vastes paysages naturels. Il s’avance vers la terrasse qui domine le Rhin. Il fait bon. Les chefs nazis sont autour de lui.
Une dernière voiture s’arrête devant l’hôtel : c’est Hierl qui a visité quelques camps rapidement et a rejoint le plus vite qu’il a pu Godesberg. Il fait son rapport au Chancelier, puis tout le monde s’assied autour du Führer et la discussion commence.
On entend des éclats de voix, Hitler parle fort, à sa façon saccadée, brutale. Quelques heures passent Hitler maintenant s’est tu. Fatigué comme après chaque allocution ou conversation quand il se donne tout entier à sa passion. Vers la fin de l’après-midi alors que déjà des chefs S.S. et S.A. prennent congé en saluant, que les voitures viennent à intervalle régulier s’immobiliser devant le perron, le Führer se détend, il fait quelques pas vers le bord de la terrasse. Le Gauleiter de la région de Cologne – Aix-la-Chapelle, un homme d’une cinquantaine d’années, lui présente les fonctionnaires importants de la région et les Kreisleiter du Gau. La foule de curieux est toujours là, saluant criant agitant des drapeaux. Martial, manoeuvrant avec la précision mécanique des vieilles unités prussiennes, un détachement du R.A.D. prend position devant l’hôtel.
Hitler sort sur le perron, il salue satisfait ces jeunes hommes à la fixité de statues puis les passes en revue. Alors la fanfare attaque des airs nazis et dans le crépuscule, six cents volontaires du Service du Travail allument leurs torches et forment au pied de la terrasse, une immense croix gammée de feu. Hitler s’appuie au rebord de marbre de la terrasse. Maintenant les musiciens jouent le grand Zapfenstreich (couvre-feu). Les torches brûlent et leurs flammes se couchent parfois sous la brise humide qui monte du fleuve, parfumée à l’odeur douceâtre du Rhin, odeur de vigne aussi et senteur de l’herbe. Les péniches noires qui se croisent dans la pénombre ont déjà allumé leurs feux de position.
En face, sur l’autre rive, les Siebengebirge (les Sept-Montagnes) dressent leurs sommets ronds comme des arapèdes, posées là, isolées, vestiges volcaniques : Drachenfels, Olberg, Petersberg, et la plus massive, le Loewenburg. Le regard depuis Godesberg s’accroche à ces reliefs, à la vallée du Rhin, majestueuse, donnant l’impression vivante de la puissance, de la paix.