Ernst Roehm : exécution sommaire donc. Traître au nazisme et au Führer ou trahi par le chef machiavélique qui l’entourait d’égards pour mieux le perdre, comme dans un drame shakespearien où le meurtre, l’hypocrisie et la bassesse se mêlent dans les intrigues pour le pouvoir ?
Hitler attendra près de deux semaines, deux longues semaines après la nuit sanglante, pour donner au peuple allemand l’explication officielle des événements.
La chaleur depuis les derniers jours de juin n’a fait qu’augmenter. Le vendredi 13 juillet, une atmosphère lourde écrase ainsi la capitale du Reich. Le Reichstag est convoqué pour le soir. À partir de 19 heures, des voitures officielles, descendent les députés nazis en uniforme, devant l’Opéra Kroll, à l’ouest de la Koenigplatz, entre les jardins du Tiergarten et la Spree, dans ce quartier de Berlin aéré et calme. Ils se rassemblent, pénètrent par groupes compacts dans l’Opéra, lourde bâtisse de style néo-classique construite à la fin du XIXeme siècle et où, depuis l’incendie des bâtiments du Reichstag le 27 février 1933, siège le Parlement. Les saluts nazis se succèdent, les uniformes noirs et blancs se mêlent. C’est un monde d’hommes vigoureux, autour de la cinquantaine, les cheveux coupés courts, les gestes sûrs, la parole haute. Ils sont les vainqueurs depuis le 30 janvier 1933. Et ils sont aussi depuis le 30 juin 1934 des hommes qui ont échappé à une première épuration.
Quand Hitler entre et se dirige vers la tribune – gardée par des S.S., car on craint un attentat – tout le monde est debout et salue. André François-Poncet remarque que Hitler est « blême, les traits tirés ». Goering, président en titre du Reichstag, ouvre la séance à 20 heures et immédiatement passe la parole au Führer qui est déjà à la tribune. Décor d’opéra, loges, fauteuils d’orchestre occupés par les députés en uniforme et le Chancelier qui, nerveusement tient le pupitre placé devant lui puis tend le bras, le poing serré.
« Députés, hommes du Reichstag allemand ! » lance-t-il.
La voix est dure, « plus rauque que d’habitude » se souvient André François-Poncet. Les mots sont lancés comme des ordres ou des coups. Prononcer un discours pour Adolf Hitler est un acte de violence.
Je dois, dit-il, « devant ce forum le plus qualifié de la nation, donner au peuple des éclaircissements sur les événements qui, je le souhaite, demeureront pour l’éternité, dans notre histoire, un souvenir aussi plein d’enseignement qu’il l’est de tristesse ». Dehors dans le Tiergarten, la foule stationne le long des allées fraîches, autour de la Koenigsplatz. Le discours est retransmis par la radio. Maintenant, puisque le Führer s’explique, le peuple allemand a le droit et le devoir de connaître ce qui a eu lieu au cours de cette nuit de juin.
« Mon exposé sera franc et sans ménagement, continue Hitler, il faudra cependant que je m’impose certaines réserves et ce seront les seules, celles que me dicte le souci de ne pas franchir les limites tracées par le sens des intérêts du Reich, par le sentiment de la pudeur ».
Chaque Berlinois, devant l’Opéra Kroll, en ce vendredi 13 juillet 1934 sait quelque chose : certains journaux ont franchement décrit les « scènes répugnantes » dont parlait le diplomate italien Aloisi. Ces exécutions étaient donc aussi un acte de purification. La purification par le sang et la mort.
« Ce n’étaient plus seulement, martèle Hitler, les intentions de Roehm, mais maintenant aussi son attitude extérieure qui marquaient son éloignement du Parti. Tous les principes qui ont fait notre grandeur perdirent pour lui leur sens. La vie que le chef d’État-major et, avec lui un certain nombre de chefs, commencèrent à mener était intolérable du point de vue national-socialiste. Il n’y avait pas seulement à redouter que lui et ses amis violent toutes les lois de la bienséance, mais que la contagion s’exerce dans les milieux les plus étendus. »
Le capitaine Roehm, celui que le Chancelier tutoyait comme son plus ancien et son plus fidèle camarade c’était donc transformé en six mois en ce ferment, cet « abcès » qu’il faut détruire. La voix du Chancelier devient plus rauque, plus dure. « Les mutineries se jugent par leurs propres lois, martèle-t-il. J’ai donné l’ordre de fusiller les principaux coupables et j’ai donné l’ordre aussi de cautériser les abcès de notre empoisonnement intérieur et de l’empoisonnement étranger, jusqu’à brûler la chair vive. J’ai également donné l’ordre de tuer aussitôt tout rebelle qui, lors de son arrestation, essaierait de résister... »