Ayant profйrй quelques compliments mensongers, et assurй а Mrs Hubbard qu'il allait lui faire apporter du cafй, Poirot prit congй et sortit en compagnie de ses deux amis.
Nous voici bredouilles, remarqua M. Bouc. Oщ allons-nous fouiller а prйsent ?
A mon avis, le plus simple serait de procйder par ordre en suivant le couloir. Commenзons par le numйro &6. L'aimable Mr Hardman.
Mr Hardman, en train de fumer un cigare, les reзut avec la meilleure grвce du monde.
Entrez, je vous en prie, messieurs. du moins si vous pouvez tenir tous trois dans un espace aussi restreint.
M. Bouc expliqua le but de leur visite et le dйtective new-yorkais approuva cette initiative.
Parfait. Je me demande pourquoi vous ne l'avez pas fait plus tфt. Voici mes clefs, messieurs, et si vous dйsirez fouiller mes poches, ne vous gкnez pas. Voulez-vous que je descende mes valises ?
Le conducteur s'en chargera. Michel !
Le contenu des valises de Mr Hardman fut rapidement passй en revue. Peut-кtre s'y trouvait-il une quantitй trop considйrable de liqueurs.
Mr Hardman cligna de l'њil.
La douane visite rarement les bagages aux frontiиres. du moins si on ne fait que traverser le pays. Jusqu'ici je n'ai eu aucun ennui.
Mais а la frontiиre franзaise ?
Avant d'arriver en France, je verserai ce qui restera de ces bouteilles dans un flacon йtiquetй :
Vous n'кtes point partisan de la prohibition, monsieur Hardman, observa M. Bouc en riant.
Ma foi, j'aurais tort de dire que la prohibition m'ait empкchй de boire. Vous connaissez ce qu'on appelle en Amйrique le « speakeasy » ou cabaret clandestin.
Non, je voudrais bien aller en Amйrique, dit Poirot.
On vous y apprendrait quelques mйthodes un peu modernes. L'Europe a besoin de s'йveiller, elle dort а moitiй.
Certes, j'admire l'Amйrique, le pays du progrиs, mais j'avoue prйfйrer mes compatriotes aux femmes amйricaines. La jeune fille belge ou franзaise surpasse en charme et en finesse celle des autres nations.
Hardman se tourna un instant vers la fenкtre pour contempler la neige.
Il clignota des yeux.
Cette neige vous йblouit, remarqua-t-il. Vraiment, je commence а en avoir plein le dos de cette panne et de ce crime ! Que faire pour tuer le temps ? J'aimerais inventer une occupation quelconque.
Voilа bien l'esprit remuant de l'Amйrique, prononзa Poirot avec un sourire.
Le conducteur replaзa les valises et ils s'en allиrent dans le compartiment suivant. Le colonel Arbuthnot, assis dans un coin, fumait sa pipe en lisant une revue.
Poirot lui exposa le motif de leur visite. Le colonel ne souleva aucune difficultй : il avait deux grands sacs de voyage en cuir oщ tout йtait ragй avec un ordre tout militaire.
Le reste de mon attirail me suit par bateau, expliqua-t-il.
En moins de trois minutes, l'inspection fut terminйe. Poirot remarqua un paquet de cure-pipes.
Vous employez toujours cette mкme marque ?
Autant que possible.
ah
Ces cure-pipes йtaient identiques а celui que Poirot avait ramassй dans le compartiment de Ratchett.
Le docteur Constantine en fit la remarque lorsqu'ils se retrouvиrent dans le couloir.
Tout de mкme, dit Poirot, je ne puis croire а la culpabilitй de cet homme.
Le compartiment voisin йtait celui de la princesse Dragomiroff. Dиs qu'ils frappиrent а la porte, la vieille dame rйpondit de sa voix grave et bien timbrйe :
Entrez !
M. Bouc, plein de dйfйrence, prit la parole et expliqua ce qu'ils dйsiraient.
Je n'y vois pas d'inconvйnient, messieurs. Les clefs sont entre les mains de ma femme de chambre qui va vous aider.
Confiez-vous habituellement vos clefs а votre femme de chambre, madame ? demanda Poirot.
Oui, monsieur.
Et si а l'une des frontiиres les douaniers demandaient а visiter vos bagages au milieu de la nuit ?
La vieille dame haussa les йpaules :
C'est peu probable. Mais si le fait se produisait, le conducteur irait prendre les clefs chez ma femme de chambre.
Vous avez une confiance absolue en cette femme ?
Je vous rйpиte encore que je ne prends а mon service que des gens sur qui je puis compter.
Il vaut souvent mieux, en effet, employer une personne simple et honnкte qu'une femme de chambre mieux stylйe. par exemple, quelque jolie Parisienne.
Les yeux noirs et perspicaces de la princesse Dragomiroff se fixиrent sur les yeux du dйtective.
Qu'insinuez-vous par lа, monsieur Poirot ?
Rien, madame, rien du tout.
Si, si ! Vous pensez que je devrais avoir а mon service une йlйgante Parisienne ?
Cela semblerait peut-кtre plus naturel, madame.
Hildegarde m'est entiиrement dйvouйe, et le dйvouement ne s'achиte pas, monsieur Poirot, dйclara la princesse en appuyant sur les mots.
L'Allemande apporta le trousseau de clefs. Sa maоtresse lui ordonna, dans sa langue maternelle, d'ouvrir les valises et d'aider ces messieurs dans leurs recherches. Pendant ce temps, debout dans le couloir, elle regarda mйditativement la neige. Poirot s'approcha d'elle, laissant а M. Bouc le soin de fouiller les bagages.
Eh bien, monsieur Poirot, vous ne vous inquiйtez donc pas du contenu de mes valises ?