La brave femme, n'йcoutant que son bon cњur, courut aussitфt vers l'Amйricaine. Du reste, sa valise n'йtaient point fermйe а clef, sa prйsence n'йtait nullement nйcessaire.
Son maigre bagage fut vite passй en revue. Evidemment, elle n'avait pas encore remarquй la disparition du morceau de toile mйtallique dans son carton а chapeau.
Miss Debenham avait posй son livre et observait Poirot. Quand il l'en pria, elle lui remit ses clefs et, comme il ouvrait une des valises, elle lui dit :
Monsieur Poirot, pourquoi avez-vous йloignй cette femme ?
Pour qu'elle aille soigner cette pauvre Amйricaine, mademoiselle.
Un excellent prйtexte. mais ce n'est qu'un prйtexte.
Je ne saisis pas, mademoiselle.
Mais si, vous me comprenez parfaitement.
Elle sourit.
Vous vouliez me voir seule, n'est-ce pas ?
Vous me prкtez des intentions, mademoiselle.
Que vous avez dйjа en tкte. Ne soutenez pas le contraire.
Mademoiselle, un proverbe franзais dit.
« Qui s'excuse s'accuse ». C'est bien ce que vous alliez dire ? Avec un brin d'observation et de bons sens, j'ai devinй que vous me soupзonniez de savoir quelque chose sur ce crime. cet assassinat d'un homme que je ne connais ni d'Eve ni d'Adam.
Vous vous faites des idйes, mademoiselle.
Non, non, je sais ce que je dis. Et il me semble qu'au lieu de gaspiller votre temps, vous feriez mieux d'arriver droit au fait.
Ah ! vous prйfйrez qu'on vous parle sans ambages ! Eh bien, je suis votre conseil et vous prie de m'expliquer le sens de certaines paroles que j'ai entendues par surprise au cours du voyage. A la garde de Konya, j'йtais descendu pour me dйgourdir les jambes, lorsque votre voix et celle du colonel me parvinrent dans la nuit. Vous disiez : « Pas maintenant. Plus tard, quand tout ceci sera terminй et loin derriиre nous ». Que signifiaient ces propos, mademoiselle ?
Elle rйpondit d'un ton trиs calme :
Vous imaginez-vous qu'il s'agissait d'un. meurtre ?
Je vous le demande, mademoiselle.
Elle soupira et s'absorba un instant dans ses pensйes.
Excusez-moi, monsieur, dit-elle enfin, mais je ne puis vous donner le sens de cette phrase. Je vous affirme sur l'honneur que j'ai vu ce Mr Ratchett pour la premiиre fois dans le train.
Alors, vous refusez de me donner une explication ?
Si vous le prenez ainsi : oui, je refuse. Ces paroles avaient trait а . а un devoir que j'avais entrepris.
Et ce devoir est rempli а prйsent ?
Comment cela ?
Oui ou non, est-il rempli ?
Qu'est-ce qui vous porte а le croire ?
Mademoiselle, permettez-moi de vous rappeler un petit incident. Avant d'arriver а Stamboul, le train a subi un lйger retard, et vous, d'ordinaire si calme et si raisonnable, vous avez perdu votre sang-froid en l'occurrence.
Je ne voulais pour rien au monde manquer la correspondance.
C'est votre explication, mais comme je vous l'ai fait remarquer, l'Orient-Express part tous les jours de Stamboul, et eussiez-vous-mкme manquй la correspondance, votre retard n'eыt йtй que de vingt-quatre heures.
Miss Debenham tйmoigna quelque impatience.
Vous ne semblez pas vous rendre compte que des amis peuvent vous attendre а Londres et qu'un jour de retard bouleverse tous vos projets et vous cause d'innombrables ennuis.
Ah ! vous vous inquiйtez parce que des amis vous attendaient а Londres ! Vous ne vouliez pas les dйcevoir ?
Evidemment !
C'est pour le moins curieux.
Que voyez-vous lа de curieux ?
Le train, а prйsent, a йgalement du retard. un retard considйrable. et, circonstance aggravante, impossible de prйvenir vos amis par cвble. Pourtant cette fois vous acceptez le contretemps avec un flegme admirable.
Mary Debenham rougit et se mordit la lиvre.
Vous ne rйpondez pas, mademoiselle ?
J'ignorais que vous attendiez un rйponse.
Expliquez-moi ce changement d'attitude, mademoiselle.
Ne croyez-vous pas que vous faites bien des histoires а propos de rien, monsieur Poirot ?
Cela provient sans doute d'une dйformation professionnelle. Nous autres, dйtectives, nous voulons que les gens placйs dans des circonstances critiques rйagissent toujours de mкme faзon. Nous ne tenons pas suffisamment compte des sautes d'humeur.
Mary Debenham jugea prйfйrable de ne rien dire.
Connaissez-vous bien le colonel Arbuthnot, mademoiselle ?
Poirot s'imagina que ce changement de conversation ne dйplaisait point а la jeune
fille.
Je l'ai rencontrй pour la premiиre fois au cours de ce voyage.
Savez-vous s'il connaissait dйjа Ratchett ?
Elle secoua nйgativement la tкte.
Je suis certaine que non.
Pourtant, mademoiselle, nous avons trouvй un cure-pipe dans le compartiment de la victime, et, parmi les voyageurs, le colonel est le seul а fumer la pipe.
Il l'observait attentivement, mais elle ne trahit ni surprise ni йmotion et se contenta de dire :
C'est absurde ! Le colonel Arbuthnot est le dernier homme au monde capable de commettre un pareil crime !
Poirot partageait а tel point cet avis qu'il allait le dire, mais il se ravisa.
Permettez-moi de vous rappeler, mademoiselle, que vous connaissez seulement depuis peu le colonel.
Elle haussa les йpaules.