Oh ! madame, ce n'est lа qu'une formalitй.
Est-ce bien sыr ?
Oui, du moins en ce qui vous concerne.
Pourtant j'ai bien connu Sonia Armstrong et je l'affectionnais beaucoup. Vous pensez sыrement que je n'aurais pas voulu souiller mes mains en tuant cet ignoble Cassetti ? Sans doute avez-vous raison.
Elle garda le silence un instant, puis elle reprit :
Savez-vous comment j'aurais aimй traiter ce monstre ? J'aurais voulu rйunir tous mes domestiques et leur donner l'ordre de le rouer de coups jusqu'а ce que mort s'ensuive et de jeter son cadavre а la voirie. Voilа comment les choses se passaient en Russie dans ma jeunesse, monsieur.
Poirot l'йcoutait attentivement sans profйrer une parole.
Brusquement la princesse se tourna vers lui.
Vous ne dites rien, monsieur Poirot ! A quoi songez-vous donc ?
Il la regarda bien en face.
Je songe, madame, que votre force rйside plutфt dans votre volontй que dans vos
bras.
Elle abaissa les yeux vers ses bras minces, gainйs de longues manches noires et terminйs par des mains jaunes pareilles а des serres d'oiseau.
C'est vrai. je ne possиde aucune force physique. Je ne sais si je dois m'en fйliciter.
Brusquement, elle rйintйgra son compartiment, oщ sa femme de chambre remettait tout en ordre.
La princesse coupa court aux excuses de M. Bouc.
Inutile, monsieur. Un crime a йtй commis, certaines mesures doivent nйcessairement кtre prises.
Elle les salua et ils s'йloignиrent.
Les portes des deux compartiments suivants se trouvaient fermйes. M. Bouc se gratta la tкte.
Diable ! c'est fвcheux ! Ces jeunes Hongrois voyagent avec des passeports diplomatiques et leurs bagages sont exempts de toute visite douaniиre.
Il s'agit ici d'un assassinat, observa Poirot.
Je le sais, mon ami. Mais il faut а tout prix йviter les complications.
Ne vous tracassez pas. Le comte et la comtesse se montreront tout aussi raisonnables que la princesse Dragomiroff.
La princesse est une grande dame. Ceux-ci appartiennent au mкme rang social, mais le comte n'a pas l'air commode. Avez-vous comme il s'est comportй quand vous avez insistй pour interroger sa femme ? Cette fois, il va nous envoyer promener. Si nous les laissions tranquilles ? Aprиs tout, ces gens-lа n'ont sans doute rien а voir avec le crime ? Pourquoi m'attirer des ennuis inutilement ?
Je ne partage pas votre avis, dit Poirot. Je suis certain que le comte ne suscitera pas de difficultйs. Essayons.
Sans laisser а M. Bous le temps de protester, Poirot frappa а la porte n°'13.
Entrez ! rйpondit une voix de l'intйrieur.
Assis prиs de la porte, le comte lisait un journal. La comtesse, pelotonnйe dans un coin opposй, un oreiller derriиre elle, sembla s'arracher du sommeil.
Pardon, monsieur le comte, dit Poirot, excusez notre intrusion. Nous procйdons а la visite de tous les bagages des voyageurs. M. Bouc me fait remarquer que, muni d'un passeport diplomatique, vous pouvez refuser de vous soumettre а cette formalitй.
Le comte rйflйchit un moment.
Je vous remercie. Toutefois, je ne tiens nullement а profiter de cette faveur, et je dйsire qu'on inspecte mes bagages comme ceux des autres voyageurs.
Il se tourna vers sa femme.
J'espиre, Elйna, que vous n'y voyez aucun inconvйnient ?
Aucun, rйpondit la comtesse sans hйsiter.
M. Bouc effectua un examen rapide et superficiel dans le second compartiment tandis que POirot semblait dissimuler son embarras par des remarques de ce genre :
Madame, l'йtiquette de cette valise est encore humide.
Il montrait а la comtesse une mallette en maroquin bleu, avec des initiales surmontйes d'une couronne.
La comtesse ne releva point cette observation. Toute cette affaire, c'йtait visible, l'horripilait.
Immobile dans son coin, elle regardait la neige а travers la vitre.
Poirot termina son inspection en ouvrant le petit placard au-dessus du lavabo et d'un coup d'њil en vйrifia le contenu : une йponge, un pot de crиme, de la poudre et un flacon dont l'йtiquette annonзait :
Aprиs un йchange de remerciements et des excuses, M. Bouc et M. Poirot se retirиrent.
Le compartiment de Mrs Hubbard, le compartiment oщ gisait le cadavre de la victime et le compartiment de M. Poirot venaient ensuite.
Puis ce fut le tour des secondes classes.
Le premier compartiment des secondes йtait occupй par Mary Debenham, plongйe dans la lecture d'un livre, et Greta Ohlsson, qui, profondйment endormie, se rйveilla en sursaut а l'entrйe des enquкteurs.
Poirot rйpйta son explication. La Suйdoise parut trиs agitйe, alors que Mary Debenham conservait son calme.
Si vous me le permettez, dit Poirot en s'adressant а la Suйdoise, commenзons d'abord par vos bagages. Ensuite, vous serez bien aimable d'aller auprиs de la dame amйricaine. Vous la trouverez dans la seconde voiture. Elle est tellement bouleversйe par sa tragique dйcouverte que nous l'avons fait changer de compartiment. Je lui ai fait porter du cafй, mais je crois que votre compagnie lui sera plus salutaire.