Messieurs, je vous donne ma parole d'honneur que cette nuit ma femme n'a pas quittй son compartiment, dйclara le comte. Comme je vous l'ai dйjа dit, elle absorba une petite dose de somnifиre et s'endormit presque aussitфt. Elle est entiиrement innocente de ce crime.
Poirot considйra l'un aprиs l'autre le comte et la comtesse Andrenyi.
Je vous le jure sur mon honneur ! rйpйta le comte.
Poirot hocha la tкte.
Vous n'avez pourtant pas craint de maquiller le prйnom sur le passeport.
Monsieur Poirot, s'йcria le comte, songez а ma situation. Pouvais-je supporter l'idйe de voir ma femme traоnйe devant les tribunaux pour une affaire de meurtre ? Je la savais innocente, mais, vu sa parentй avec la famille Armstrong, elle eыt йtй immйdiatement suspectйe. On l'aurait interrogйe. et, qui sait ? peut-кtre arrкtйe. Puisque la malchance avait voulu que nous voyagions dans le mкme train que Ratchett, quelle autre dйcision pouvais-je prendre ? Je l'avoue, monsieur, je vous ai menti. Mais si je le rйpиte en toute vйritй : ma femme n'a pas quittй son compartiment de toute la nuit derniиre !
Son ton de sincйritй n'admettait point de contradiction.
Je ne mets pas en doute votre parole, monsieur, lui dit Poirot. Vous descendez, je le sais, d'une noble et ancienne famille. Il serait fвcheux pour vous de voir votre femme mкlйe а une affaire policiиre, je vous l'accorde. Mais comment expliquer la prйsence du mouchoir de votre femme dans le compartiment de la victime ?
Encore une fois, je vous l'assure, monsieur, ce mouchoir n'est pas а moi.
Malgrй l'initiale H ?
Oui, monsieur. J'ai des mouchoirs ressemblant а celui-lа, mais je n'en possиde aucun exactement de ce modиle. Je perds l'espoir de vous convaincre, mais je ne me lasserai pas de rйpйter : ce mouchoir ne m'appartient pas.
Il a pu кtre placй lа par le coupable pour vous faire soupзonner.
La comtesse йbaucha un sourire :
Vous voulez а tout prix m'arracher un aveu. Eh bien, non, monsieur Poirot, pour la troisiиme fois, ce mouchoir n'est pas а moi.
S'il n'est pas а vous, pour quelle raison avez-vous truquй votre passeport ?
Cette fois, le comte rйpondit :
Ayant entendu dire qu'un mouchoir avait йtй trouvй dans le compartiment de Ratchett portant l'initiale H, nous avons discutй ce point avant notre interrogatoire. Je fis entrevoir а Hйlйna que si on dйcouvrait que son prйnom commenзait par un H, elle serait immйdiatement harcelйe par toutes sortes de questions alors qu'il йtait si simple de transformer Hйlйna en Elйna.
Monsieur le comte, vous avez le tempйrament d'un criminel d'envergure, observa Poirot d'un ton sec. Vous possйdez une grande ingйniositй naturelle et, pour dйrouter la police, une conscience а l'abri de tous scrupules.
Oh ! non ! non ! monsieur Poirot, c'est а cause de moi seulement qu'il a recouru а de tels procйdйs ! J'avais peur... terriblement peur, expliqua la comtesse. L'idйe qu'on pouvait rйveiller de nouveau tout ce passй m'affolait. En outre, je redoutais d'кtre incriminйe et jetйe en prison. Monsieur Poirot ! ne comprenez-vous pas mes angoisses ?
Elle plaidait de sa voix riche est nuancйe, la voix de la fille de Linda Arden, la tragйdienne admirable.
Poirot la considйra d'un air grave.
Si vous voulez que je vous croie, madame - et remarquez bien que je ne me refuse pas а le faire - il faut absolument que vous secondiez mes efforts.
Que je seconde vos efforts ?
Oui, le mobile du crime rйside dans le passй, dans ce drame qui anйantit votre famille et attrista votre enfance. Parlez-moi de cette йpoque, que j'y dйcouvre un lien entre les deux affaires.
Que vous dire ? Tous les tйmoins sont morts, tous morts : Robert, Sonia. et ma petite Daisy chйrie. Elle йtait si mignonne, avec ses jolies boucles ! Nous raffolions tous d'elle !
Il y eut une autre victime, madame. Nous pourrions la qualifier de victime indirecte.
Oui, cette malheureuse Suzanne ! Je l'avais oubliйe. La police la harcela de questions. La justice йtait convaincue qu'elle avait renseignй les assassins. En tout cas, ce fut bien involontairement. Elle avait, paraоt-il, bavardй et donnй des dйtails sur les promenades de Daisy. La pauvre fille a perdu la tкte, elle s'imaginait qu'on la rendait responsable de la mort de l'enfant. C'est horrible !
Toute frйmissante d'йmotion, elle cacha son visage entre ses mains.
De quelle nationalitй йtait cette jeune fille ?
Elle йtait franзaise.
Son om de famille ?
C'est stupide, je ne m'en souviens plus. Nous l'appelions tous Suzanne. Une jolie fille toujours souriante, trиs dйvouйe а la petite Daisy.
Elle remplissait les fonctions de bonne d'enfants, n'est-ce pas ?
Oui.
Et qui йtait la nurse ?
Une infirmiиre des hфpitaux, du nom de Stingelberg. Elle soignait Daisy et ma sњur avec beaucoup de dйvouement.
Madame, je vous prie de bien rйflйchir avant de me rйpondre. Avez-vous vu dans ce train des personnes de connaissance ?
Elle le regarda bien en face.
Moi ? Non, personne.
Et la princesse Dragomiroff ?
Elle ? Je la connais, bien sыr. Je pensais que vous vouliez dire. une personne de l'йpoque du drame.