Voilа l'explication, murmura Poirot. J'avais bien remarquй une lйgиre hйsitation chez la femme de chambre quand je lui ai demandй si elle connaissait la propriйtaire de ce mouchoir. Elle ne savait au juste si elle devait rйpondre oui ou non. Comment juxtaposer ces faits autour de mon idйe principale ? Ma foi, tout m'a l'air de s'arranger assez bien.
Ah ! s'йcria M. Bouc, quelle vieille femme terrible !
Aurait-elle pu tuer Ratchett ? demanda Poirot au mйdecin.
Celui-ci hocha la tкte.
Certains coups. ceux, par exemple, qui ont pйnйtrй dans la masse musculaire, n'auraient jamais pu кtre frappйs par une personne physiquement aussi faible.
Mais les autres coups ?
Les moins violents, oui.
Je songe а l'incident de ce matin, quand je dis а la princesse que sa force rйsidait plutфt dans sa volontй que dans son bras. Je lui tendais lа un piиge. Je voulais savoir si elle regarderait son bras droit ou son bras gauche. Elle les considйra tous deux, mais laissa йchapper une йtrange rйflexion : « Non, je n'ai guиre de force dans les bras ; je ne sais si je dois m'en fйliciter ou le dйplorer ». Cette curieuse remarque vint confirmer mon opinion personnelle sur le crime.
Cela ne nous apprend rien au sujet des coups frappйs de la main gauche.
Non. A propos, avez-vous remarquй que la pochette de veston oщ le compte Andrenyi met son mouchoir se trouve а droite ?
M. Bouc hocha la tкte. L'esprit occupй par les surprenantes rйvйlations fournies par la derniиre demi-heure de l'enquкte, il murmura :
Des mensonges. toujours des mensonges. je demeure confondu devant le nombre de mensonges que nous avons entendus depuis ce matin !
Il nous en reste encore d'autres а dйcouvrir, riposta Poirot d'un ton guilleret.
Vous croyez, mon cher ami.
Le contraire me dйcevrait.
Une telle duplicitй m'effraie, alors qu'elle semble vous йgayer, constata M. Bouc avec reproche.
J'en tire un йnorme avantage. Lorsque je place celui qui a menti devant la vйritй, il avoue son mensonge, souvent par pure surprise. Pour produire cet effet, il suffit de deviner juste. C'est le seul moyen que nous possйdions de mener а bien cette enquкte. Je prends une а une les dйpositions des voyageurs et je me dis : si un tel ment, sur quel point fait-il une entorse а la vйritй et pour quelle raison ? Cette tactique nous a bien rйussi en ce qui concerne la comtesse Andrenyi. Essayons-la sur d'autres.
Et si votre supposition est fausse, mon cher ami ?
Du coup, la personne est dйgagйe de tout soupзon.
Ah ! vous procйdez par йlimination ?
Prйcisйment.
Qui va maintenant se faire prendre а nos filets ?
Nous allons mettre а l'йpreuve le colonel Arbuthnot.
Le colonel, visiblement ennuyй de se voir appelй а nouveau dans le wagon- restaurant, entra.
Eh bien ? demanda-t-il sиchement. Il s'assit.
Excusez-moi de vous dйranger une seconde fois, lui dit Poirot, mais il reste certains points sur lesquels vous pourrez nous йclairer.
Vous croyez ? Moi pas.
Commenзons par ce cure-pipe.
Eh bien ?
C'est un des vфtres ?
Je n'en sais rien. Je n'y inscris pas mon matricule.
Colonel Arbuthnot, sachez que vous кtes les seul voyageur du train Stamboul- Calais qui fume la pipe.
En ce cas, ce cure-pipe m'appartient probablement.
Savez-vous oщ il a йtй ramassй ?
Je n'en ai pas la moindre idйe.
Prиs du lit de la victime. Le colonel leva les sourcils.
Pourriez-vous nous expliquer la prйsence de cet objet а pareil endroit ?
Si vous insinuez que je l'ai moi-mкme laissй choir dans le compartiment de Ratchett, j'aime mieux vous dire toute de suite que vous vous trompez.
Etes-vous allй а un moment quelconque dans ce compartiment ?
Je n'ai jamais adressй la parole а cet individu.
Vous ne lui avez jamais parlй et vous ne l'avez pas tuй ? Les sourcils du colonel se levиrent plus haut encore.
Si je l'avais assassinй, je ne m'empresserais pas de vous l'apprendre. Mais je ne l'ai pas assassinй.
Peuh. aprиs tout, cela n'a aucune importance.
Plaоt-il ?
Je rйpиte que cela n'a aucune importance.
Oh !
Arbuthnot, interloquй et mal а l'aise, regardait Poirot.
Parce que, continua le dйtective, le cure-pipe figure а l'arriиre-plan de mes prйoccupations. Je pourrais vous citer neuf autres excellentes raisons de sa prйsence auprиs du cadavre.
Arbuthnot ouvrit de grands yeux.
En rйalitй, je vous ai fait appeler pour vous parler d'un sujet tout diffйrent, poursuivit Poirot. Miss Debenham vous a peut-кtre dit que j'ai surpris des bribes de conversation entre elle et vous а la gare de Konya ?
Le colonel ne rйpondit point.
Elle vous disait textuellement : « Pas maintenant. Quand tout cela sera terminй et loin derriиre nous ». Savez-vous а quoi se rapportaient ces paroles ?
Monsieur Poirot, je refuse de rйpondre а cette question.
Pourquoi ?
Je prйfиre que vous vous adressiez а Miss Debenham elle-mкme.
Je l'ai dйjа fait.
Et elle a refusй de s'expliquer ?
Oui.
En ce cas, j'estime que mon silence se justifie amplement а vos yeux.
Vous ne voulez pas violer le secret d'une femme ?