La face de leur ennemi n’était pas tournée vers lui, mais il osait à peine bouger, craignant que le regard mortel ne se portât sur lui. Lentement, lentement il se traîna sur le côté ; mais le Noir Capitaine, son doute et sa malveillance tout entiers dirigés vers la femme devant lui, ne fit pas plus attention à lui qu’à un ver rampant dans la boue.
Soudain, la grande créature battit de ses horribles ailes, qui dégagèrent un vent fétide. D’un bond, elle s’éleva de nouveau dans l’air et, avec un cri strident, se jeta sur Éowyn à grands coups de bec et de serres.
Mais toujours Éowyn restait impassible : fille des Rohirrim, enfant des rois, mince comme un fil d’épée, belle mais terrible. Elle porta un rapide coup, sûr et mortel. Sa lame trancha le cou tendu, et la tête tomba comme une pierre. D’un bond elle recula, tandis que l’immense forme périclitait, ses vastes ailes déployées, s’écrasant sur la terre ; et lors de sa chute, l’ombre passa. Une lumière descendit sur Éowyn, et ses cheveux brillèrent dans le soleil levant.
Au milieu du naufrage se dressa le Cavalier Noir, haut et menaçant, bien au-dessus d’elle. Avec un hurlement de haine qui brûlait les oreilles comme du venin, il abattit sa masse. Le bouclier d’Éowyn vola en éclats, et son bras fut brisé ; elle tomba à genoux. Comme un nuage, il fondit sur elle, et ses yeux étincelèrent ; il leva sa masse pour tuer.
Mais soudain, lui aussi tomba en avant avec un cri d’atroce douleur, et son coup dévia de sa cible, se fichant dans le sol. L’épée de Merry l’avait frappé par-derrière, déchirant le manteau noir, et, montant sous le haubert, avait percé le tendon derrière son puissant genou.
« Éowyn ! Éowyn ! » cria Merry. Alors, chancelante, elle se releva avec peine et, de ses dernières forces, elle plongea son épée entre la couronne et le manteau tandis que les grandes épaules se penchaient sur elle. La lame jeta des étincelles et se brisa en maints fragments. La couronne roula sur le sol avec un bruit métallique. Éowyn tomba en avant sur la dépouille de son adversaire. Mais voici ! manteau et haubert étaient vides. Ils gisaient sur le sol en une masse informe, chiffonnés et lacérés ; et un cri monta dans l’air frémissant, bientôt réduit à une plainte aiguë, emportée par le vent : une voix maigre et désincarnée qui, noyée, s’éteignit, pour ne plus jamais être entendue au cours de cet âge du monde.
Et voilà que se tenait Meriadoc au milieu des tués, cillant comme un hibou à la lumière du jour, car les larmes l’aveuglaient ; et comme à travers la brume, ses yeux se posèrent sur le beau visage d’Éowyn, gisante et immobile ; et il contempla la figure du roi tombé en pleine gloire. Car Snawmana s’était de nouveau retourné dans son agonie, s’enlevant de son maître ; mais il ne fut pas moins sa perte.
Merry se pencha alors et souleva sa main pour la baiser ; et voici ! Théoden ouvrit les paupières, et ses yeux étaient clairs, et il parla d’une voix douce quoique laborieuse.
« Adieu, maître Holbytla ! dit-il. Mon corps est brisé. Je vais rejoindre mes pères. Et même en leur auguste compagnie, je n’aurai pas honte, à présent. J’ai terrassé le serpent noir. Un matin gris, un jour de grâce et un glorieux couchant ! »
Merry, incapable de parler, fondit de nouveau en larmes. « Pardonnez-moi, sire, dit-il enfin, si j’ai enfreint votre commandement sans rien faire pour votre service, sinon pleurer notre séparation. »
Le vieux roi sourit. « Ne vous tourmentez pas ! Tout est pardonné. Un grand cœur ne se refuse pas. Vivez désormais dans la joie ; et quand vous vous assiérez tranquillement avec votre pipe, pensez à moi ! Car jamais je ne vais m’asseoir avec vous à Meduseld, à présent, comme je vous l’avais promis, pour discuter de la science des herbes. » Il ferma les yeux, et Merry s’inclina près de lui. Le roi reprit au bout d’un moment. « Où est Éomer ? Car mes yeux s’assombrissent, et j’aimerais le voir avant que de partir. Il doit hériter de ma couronne. Et je voudrais mander à Éowyn. Elle… elle ne voulait pas que je la laisse, et maintenant, je ne la reverrai plus, fille bien-aimée, plus chère qu’à un père. »
« Sire, sire, commença Merry d’une voix entrecoupée, elle est… » ; mais une vive clameur s’éleva à cet instant : des cors et des trompettes retentirent de toutes parts. Merry regarda autour de lui : il avait oublié la guerre, et tout le reste du monde ; et des heures semblaient s’être écoulées depuis que le roi avait chevauché à sa perte, bien qu’en vérité cela ne fît qu’un court moment. Mais il vit alors qu’ils risquaient d’être pris au milieu de la grande bataille qui allait bientôt s’engager.