Читаем Les lauriers de flammes (1ère partie) полностью

Les rameurs tiraient bien et, dans quelques instants, le grand quart de lieue qui séparait Kassim Pacha du Phanar serait franchi. Le brick américain, dont le drapeau avait été remplacé, par ordre de la Validé et pour éviter de regrettables complications diplomatiques, par un pavillon aux armes des Sant'Anna, viendrait se joindre à la forêt de mâts qui bordait le quai et s'incrusterait entre deux gros bateaux grecs, des polacres pansues dont le voisinage accuserait sa finesse de grand coureur des mers, pour y attendre sagement que son maître légitime vînt en reprendre possession avec autant de discrétion qu'il serait possible.

La situation politique, en effet, se détériorait rapidement entre l'Angleterre et les jeunes Etats-Unis d'Amérique. Le conflit, qui allait porter dans l'Histoire le nom de la Seconde Guerre d'Indépendance, était dans l'air et Nakhshidil, connaissant l'intransigeante vigilance de l'ambassadeur anglais, Sir Stratford Canning, se souciait peu de voir mettre sur le navire qu'elle avait offert à sa cousine, un embargo impossible à refuser.

La manœuvre, assez compliquée, pour amener le flanc du brick à quai, s'accomplissait au milieu d'un concert de cris et d'encouragements. Une véritable foule entourait Marianne et son compagnon, attirée par la présence insolite de ce navire occidental au milieu des bateaux grecs ou turcs, le rivage stambouliote étant réservé à ces derniers, tandis que les vaisseaux européens n'avaient droit d'accoster qu'en face, aux échelles de Galata.

C'était une foule bruyante et colorée, faite de matelots et de tous les petits marchands ambulants qui encombraient journellement le quai du quartier grec : vendeurs de fruits, de pâtisseries dégoulinantes de miel, frituriers avec leurs chaudrons noirs, marchands d'anisette et de rosolio, cette liqueur de roses dont raffolaient les autochtones, confiseurs de plein vent et rôtisseurs ambulants mêlés à la population bizarre et disparate qui, de jour comme de nuit, envahissait les nombreux cabarets du port. L'air matinal s'emplissait d'une bonne odeur de mouton rôti et de caramel et Marianne sentit qu'une fois de plus elle avait faim...

Il y avait bientôt deux mois qu'elle avait accepté de remplir, envers son époux, ce qu'elle en était venue à considérer comme son devoir. Et, depuis ce jour, comme si le Ciel n'avait attendu que cette marque de bonne volonté pour lui accorder sa rémission, les malaises si pénibles qui l'avaient torturée depuis le début de sa grossesse avaient totalement disparu. Par contre, elle s'était mise à dévorer avec un appétit qui n'allait pas sans l'inquiéter sur ce que pourrait devenir son tour de taille après la naissance de l'enfant.

— Je ne pourrai plus entrer dans aucune de mes robes, gémissait-elle presque chaque matin, après sa toilette.

Et elle ne manquait pas d'ajouter, d'un ton tragique :

— Je vais sûrement ressembler à la Visconti, faisant ainsi allusion à l'importante maîtresse du maréchal Berthier, célèbre pour les gaines étranges qu'elle se faisait confectionner dans le but de contenir ses exubérances de chair.

Le bon Jolival l'assurait alors qu'elle n'avait jamais eu aussi bonne mine, que sa vie douillette lui avait donné un teint de camélia, ce qui était vrai, et que, de toute façon, les hommes dignes de ce nom préféraient de beaucoup des chairs moelleuses, voire un peu rembourrées, aux assemblages d'ossements que réclamait trop souvent la mode.

— Et puis, ajoutait-il, si nous partons enfin pour l'Amérique, vous aurez plusieurs semaines au régime de mer pour redevenir aussi svelte qu'un chat maigre si cela vous chante.

Marianne alors souriait, soupirait et, abandonnant les créations du couturier Leroy, se rabattait sur les modes locales, beaucoup moins cintrées et beaucoup plus confortables à porter pour une future mère...

Pour l'heure présente, le vicomte-homme de lettres, une lorgnette vissée à l'œil, suivait avec attention les évolutions du navire que l'époux d'Agathe, le Reis Achmet, à qui la Validé avait acheté le bateau, avait accepté de sortir du bassin du radoub et d'amener à son mouillage.

— Les Turcs sont d'excellents marins, commenta Jolival. Quel dommage qu'ils ne se décident pas à quitter le Moyen Age et à construire des bateaux modernes, des bateaux qui n'aient pas l'air d'avoir combattu à Lépante ! Dieu me pardonne si ce n'est pas encore une galère que j'aperçois là-bas !

— Les Français ont désarmé leur dernière galère il n'y a pas un siècle. Ne soyez pas si pointilleux, Jolival. Et puis c'est une question de temps. Le sultan Mahmoud, si Allah lui prête vie, est fermement décidé à promouvoir des réformes profondes et à ouvrir son empire au progrès. Mais tant qu'il n'aura pas définitivement maté les janissaires et réduit au silence définitif leurs damnés chaudrons de cuisine, rien ne sera possible. Sa Hautesse, ainsi que sa mère, guettent l'instant propice et cultivent, en attendant, la vertu de patience, mais c'est là leur souci majeur...

Перейти на страницу:

Похожие книги

Секреты Лилии
Секреты Лилии

1951 год. Юная Лили заключает сделку с ведьмой, чтобы спасти мать, и обрекает себя на проклятье. Теперь она не имеет права на любовь. Проходят годы, и жизнь сталкивает девушку с Натаном. Она влюбляется в странного замкнутого парня, у которого тоже немало тайн. Лили понимает, что их любовь невозможна, но решает пойти наперекор судьбе, однако проклятье никуда не делось…Шестьдесят лет спустя Руслана получает в наследство дом от двоюродного деда Натана, которого она никогда не видела. Ее начинают преследовать странные голоса и видения, а по ночам дом нашептывает свою трагическую историю, которую Руслана бессознательно набирает на старой печатной машинке. Приподняв покров многолетнего молчания, она вытягивает на свет страшные фамильные тайны и раскрывает не только чужие, но и свои секреты…

Анастасия Сергеевна Румянцева , Нана Рай

Фантастика / Триллер / Исторические любовные романы / Мистика / Романы