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Idolâtré par tous, débouté de chacun, j'étais un laissé-pour-compte et je n'avais, à sept ans, de recours qu'en moi qui n'existais pas encore, palais de glace désert où le siècle naissant mirait son ennui. Je naquis pour combler le grand besoin que j'avais de moi-même; je n'avais connu jusqu'alors que les vanités d'un chien de salon; acculé à l'orgueil, je devins l'Orgueilleux. Puisque personne ne me revendiquait sérieusement, j'élevai la prétention d'être indispensable à l'Univers. Quoi de plus superbe? Quoi de plus sot? En vérité, je n'avais pas le choix. Voyageur clandestin, je m'étais endormi sur la banquette et le contrôleur me secouait. «Votre billet!» Il me fallait reconnaître que je n'en avais pas. Ni d'argent pour acquitter sur place le prix du voyage. Je commençais par plaider coupable: mes papiers d'identité, je les avais oubliés chez moi, je ne me rappelais même plus comment j'avais trompé la surveillance du poinçonneur, mais j'admettais que je m'étais introduit frauduleusement dans le wagon. Loin de contester l'autorité du contrôleur, je protestais hautement de mon respect pour ses fonctions et je me soumettais d'avance à sa décision. A ce point extrême de l'humilité, je ne pouvais plus me sauver qu'en renversant la situation: je révélais donc que des raisons importantes et secrètes m'appelaient à Dijon, qui intéressaient la France et peut-être l'humanité. A prendre les choses sous ce nouveau jour on n'aurait trouvé personne, dans tout le convoi, qui eût autant que moi le droit d'y occuper une place. Bien sûr il s'agissait d'une loi supérieure qui contredisait le règlement mais, en prenant sur lui d'interrompre mon voyage, le contrôleur provoquerait de graves complications dont les conséquences retomberaient sur sa tête; je le conjurais de réfléchir: était-il raisonnable de vouer l'espèce entière au désordre sous prétexte de maintenir l'ordre dans un train? Tel est l'orgueil: le plaidoyer des misérables.

Seuls ont le droit d'être modestes les voyageurs munis de billets. Je ne savais jamais si j'avais gain de cause: le contrôleur gardait le silence; je recommençais mes explications; tant que je parlerais j'étais sûr qu'il ne m'obligerait pas à descendre. Nous restions face à face, l'un muet, l'autre intarissable, dans le train qui nous emportait vers Dijon. Le train, le contrôleur et le délinquant, c'était moi. Et j'étais aussi un quatrième personnage; celui-là, l'organisateur, n'avait qu'un seul désir: se duper, fût-ce une minute, oublier qu'il avait tout mis sur pied. La comédie familiale me servit: on m'appelait don du ciel, c'était pour rire et je ne l'ignorais pas; gavé d'attendrissements, j'avais la larme facile et le cœur dur: je voulus devenir un cadeau utile à la recherche de ses destinataires; j'offris ma personne à la France, au monde. Les hommes, je m'en foutais, mais, puisqu'il fallait en passer par eux, leurs pleurs de joie me feraient savoir que l'Univers m'accueillait avec reconnaissance. On pensera que j'avais beaucoup d'outrecuidance; non: j'étais orphelin de père. Fils de personne, je fus ma propre cause, comble d'orgueil et comble de misère; j'avais été mis au monde par l'élan qui me portait vers le bien. L'enchaînement paraît clair: féminisé par la tendresse maternelle, affadi par l'absence du rude Moïse qui m'avait engendré, infatué par l'adoration de mon grand-père, j'étais pur objet, voué par excellence au masochisme si seulement j'avais pu croire à la comédie familiale. Mais non; elle ne m'agitait qu'en surface et le fond restait froid, injustifié; le système m'horrifia, je pris en haine les pâmoisons heureuses, l'abandon, ce corps trop caressé, trop bouchonné, je me trouvai en m'opposant, je me jetai dans l'orgueil et le sadisme, autrement dit dans la générosité. Celle-ci, comme l'avarice ou le racisme, n'est qu'un baume sécrété pour guérir nos plaies intérieures et qui finit par nous empoisonner: pour échapper au délaissement de la créature, je me préparais la plus irrémédiable solitude bourgeoise: celle du créateur. On ne confondra pas ce coup de barre avec une véritable révolte: on se rebelle contre un bourreau et je n'avais que des bienfaiteurs. Je restai longtemps leur complice. Du reste, c'étaient eux qui m'avaient baptisé don de la Providence: je ne fis qu'employer à d'autres fins les instruments dont je disposais.

Tout se passa dans ma tête; enfant imaginaire, je me défendis par l'imagination. Quand je revois ma vie, de six à neuf ans, je suis frappé par la continuité de mes exercices spirituels. Ils changèrent souvent de contenu mais le programme ne varia pas; j'avais fait une fausse entrée, je me retirais derrière un paravent et recommençais ma naissance à point nommé, dans la minute même où l'Univers me réclamait silencieusement.

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Порфирий — древнегреческий философ, представитель неоплатонизма. Ученик Плотина, издавший его сочинения, автор жизнеописания Плотина.Мы рады представить читателю самый значительный корпус сочинений Порфирия на русском языке. Выбор публикуемых здесь произведений обусловливался не в последнюю очередь мерой малодоступности их для русского читателя; поэтому в том не вошли, например, многократно издававшиеся: Жизнь Пифагора, Жизнь Плотина и О пещере нимф. Для самостоятельного издания мы оставили также логические трактаты Порфирия, требующие отдельного, весьма пространного комментария, неуместного в этом посвященном этико-теологическим и психологическим проблемам томе. В основу нашей книги положено французское издание Э. Лассэ (Париж, 1982).В Приложении даю две статьи больших немецких ученых (в переводе В. М. Линейкина), которые помогут читателю сориентироваться в круге освещаемых Порфирием вопросов.

Порфирий

Философия