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Mes premières histoires ne furent que la répétition de l'Oiseau bleu, du Chat botté, des contes de Maurice Bouchor. Elles se parlaient toutes seules, derrière mon front, entre mes arcades sourcilières. Plus tard, j'osai les retoucher, m'y donner un rôle. Elles changèrent de nature; je n'aimais pas les fées, il y en avait trop autour de moi; les prouesses remplacèrent la féerie. Je devins un héros; je dépouillai mes charmes; il n'était plus question de plaire mais de s'imposer. J'abandonnai ma famille: Karlémami, Anne-Marie furent exclus de mes fantaisies. Rassasié de gestes et d'attitudes, je fis de vrais actes en rêve. J'inventai un univers difficile et mortel – celui de Cri-Cri, de L'Épatant, de Paul d'Ivoi; à la place du besoin et du travail, que j'ignorais, je mis le danger. Jamais je ne fus plus éloigné de contester l'ordre établi: assuré d'habiter le meilleur des mondes, je me donnai pour office de le purger de ses monstres; flic et lyncheur, j'offrais en sacrifice une bande de brigands chaque soir. Je ne fis jamais de guerre préventive ni d'expédition punitive; je tuais sans plaisir ni colère pour arracher à la mort des jeunes filles. Ces frêles créatures m'étaient indispensables: elles me réclamaient. Il va de soi qu'elles ne pouvaient compter sur mon aide puisqu'elles ne me connaissaient pas. Mais je les jetais dans de si grands périls que personne ne les en eût sorties à moins d'être moi. Quand les janissaires brandissaient leurs cimeterres courbes, un gémissement parcourait le désert et les rochers disaient au sable: «Il y a quelqu'un qui manque ici: c'est Sartre.» A l'instant, j'écartais le paravent, je faisais voler les têtes à coups de sabre, je naissais dans un fleuve de sang. Bonheur d'acier! J'étais à ma place.

Je naissais pour mourir: sauvée, l'enfant se jetait dans les bras du margrave, son père; je m'éloignais, il fallait redevenir superflu ou chercher de nouveaux assassins. J'en trouvais. Champion de l'ordre établi, j'avais placé ma raison d'être dans un désordre perpétué; j'étouffais le Mal dans mes bras, je mourais de sa mort et ressuscitais de sa résurrection; j'étais un anarchiste de droite. Rien ne transpira de ces bonnes violences; je restais servile et zélé: on ne perd pas si facilement l'habitude de la vertu; mais, chaque soir, j'attendais impatiemment la fin de la bouffonnerie quotidienne, je courais à mon lit, je boulais ma prière, je me glissais entre mes draps; il me tardait de retrouver ma folle témérité. Je vieillissais dans les ténèbres, je devenais un adulte solitaire, sans père et sans mère, sans feu ni lieu, presque sans nom. Je marchais sur un toit en flammes, portant dans mes bras une femme évanouie; au-dessous de moi, la foule criait: il était manifeste que l'immeuble allait crouler. A cet instant je prononçais les mots fatidiques: «La suite au prochain numéro» – «Qu'est-ce que tu dis?» demandait ma mère. Je répondais prudemment: «Je me laisse en suspens.» Et le fait est que je m'endormais, au milieu des périls, dans une délicieuse insécurité. Le lendemain soir, fidèle au rendez-vous je retrouvais mon toit, les flammes, une mort certaine. Tout d'un coup, j'avisais une gouttière que je n'avais pas remarquée la veille. Sauvés, mon Dieu! Mais comment m'y accrocher sans lâcher mon précieux fardeau? Heureusement, la jeune femme reprenait ses sens, je la chargeais sur mon dos, elle nouait ses bras à mon cou. Non, à la réflexion, je la replongeais dans l'inconscience: si peu qu'elle eût contribué à son sauvetage, mon mérite en eût été diminué. Par chance, il y avait cette corde à mes pieds: j'attachais solidement la victime à son sauveteur, le reste n'était qu'un jeu. Des Messieurs – le maire, le chef de la police, le capitaine des pompiers – me recevaient dans leurs bras, me donnaient des baisers, une médaille, je perdais mon assurance, je ne savais plus que faire de moi: les embrassements de ces hauts personnages ressemblaient trop à ceux de mon grand-père. J'effaçais tout, je recommençais: c'était la nuit, une jeune fille appelait au secours, je me Jetais dans la mêlée… La suite au prochain numéro. Je risquais ma peau pour le moment sublime qui changerait une bête de hasard en passant providentiel mais je sentais que Je ne survivrais pas à ma victoire et j'étais trop heureux de la remettre au lendemain.

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Порфирий — древнегреческий философ, представитель неоплатонизма. Ученик Плотина, издавший его сочинения, автор жизнеописания Плотина.Мы рады представить читателю самый значительный корпус сочинений Порфирия на русском языке. Выбор публикуемых здесь произведений обусловливался не в последнюю очередь мерой малодоступности их для русского читателя; поэтому в том не вошли, например, многократно издававшиеся: Жизнь Пифагора, Жизнь Плотина и О пещере нимф. Для самостоятельного издания мы оставили также логические трактаты Порфирия, требующие отдельного, весьма пространного комментария, неуместного в этом посвященном этико-теологическим и психологическим проблемам томе. В основу нашей книги положено французское издание Э. Лассэ (Париж, 1982).В Приложении даю две статьи больших немецких ученых (в переводе В. М. Линейкина), которые помогут читателю сориентироваться в круге освещаемых Порфирием вопросов.

Порфирий

Философия